Thomas Morales: «S’en prendre aux bouquinistes, c’est amputer Paris de son histoire»

, Thomas Morales: «S’en prendre aux bouquinistes, c’est amputer Paris de son histoire»
, Thomas Morales: «S’en prendre aux bouquinistes, c’est amputer Paris de son histoire»

FIGAROVOX/TRIBUNE – L’écrivain Thomas Morales critique le souhait de la mairie de Paris de déplacer les célèbres boîtes vertes des bouquinistes des quais de Seine pendant les Jeux olympiques de Paris 2024. Elles sont le témoignage d’une civilisation qui croit aux vertus du livre, argumente-t-il.

Thomas Morales est écrivain et chroniqueur à Causeur. Dernier ouvrage paru: Monsieur Nostalgie (éd. Héliopoles, 2023).


Vouloir cacher, déplacer ou éloigner les boîtes des bouquinistes à l’approche d’une olympiade, c’est amputer Paris de son histoire littéraire, cinématographique et aussi de ses dernières traces d’une humanité jadis éclairée. Auriez-vous l’idée de séparer les amoureux de Peynet ou de désolidariser les bancs publics chers à Brassens? Ce que la ville a de plus fragile, folklorique et charnellement émouvant est contenu dans ces boîtes, accrocheuses et immarcescibles, dernier refuge avant l’inventaire, dernier lieu de résistance face à un univers marchand conquérant.

Partout ailleurs, les marques captent la lumière, sur les monuments historiques en travaux ou sous les néons des boutiques aguicheuses. Partout ailleurs, la virtualité énervée et une communication outrancière ont jeté leur venin. Plus moyen de s’évader par l’esprit, il faut capituler. La modernité gloutonne avale chaque parcelle de trottoir. Dans son sillage, elle ne reconnaît que la performance économique et la standardisation des environnements. Elle a horreur des «verrues», elles lui rappellent trop sa mauvaise conscience et ses multiples trahisons esthétiques. Le pavé est désormais miné par des injonctions à consommer toujours plus et surtout à ne pas s’écarter des dogmes en vigueur.

Ces boîtes font partie du décor, elles soutiennent les rives, elles sont le témoignage friable d’une civilisation occidentale qui croyait aux vertus du livre.

Thomas Moralès

Alors, ces boîtes, un peu trop discrètes dans leur couleur verte dépassée, un peu trop désordonnées, sans les artifices numériques à la mode, sans tapage médiatique autour, sans lobby puissant à leur botte, dans un relatif anonymat, tentent de défendre leur modeste lopin de terre avec un sens du fouillis artistique qui n’échappe pas aux badauds. Les traînards s’y arrêtent souvent, palpent une couverture, s’amusent d’un titre, se souviennent d’un auteur réprouvé par la critique et, pour quelques pièces, repartent avec un morceau de Paris, de France. Ces boîtes font partie du décor, elles soutiennent les rives, elles sont le témoignage friable d’une civilisation occidentale qui croyait aux vertus du livre.

Du livre pour tous, du grand format, du poche, de l’illustré, du papier journal, de la BD, du guide gastronomique, de la revue érotique aux écrits des grands penseurs des siècles passés, elles sont une éclatante ouverture sur le monde que les chantres de l’Olympisme devraient reconnaître et adouber. Une sorte de deuxième peau qui habille les clochards et les belles évanescentes, qui embellit la difficile circulation des bus et nous oblige à détourner le regard des travaux permanents. Sans elles, le voyage serait épuisant. Elles donnent de l’agrément au surplace urbain. Ces boîtes ont résisté aux guerres et aux émeutes.

La verroterie touristique, gadgets et babioles affreuses, n’a pas complètement envahi leur contenu; miraculeusement, elles recueillent encore des livres d’occasion à petit prix. Cette autre passion française avec la brocante et la défense des châteaux en péril. Si elles venaient à disparaître sous une flamme stylisée et une cérémonie d’ouverture aquatique, une partie de nous en serait meurtrie. Un coup de plus, un coup de trop dans le détricotage minutieux de notre «habitat». La capitale n’en sortirait pas grandie. Laisser prospérer ces humbles échafaudages adossés au parapet n’est pas un signe de faiblesse et encore moins un manque d’ambition politique.

Le statu quo n’est pas infamant. La compétition n’y perdra pas en prestige. Il y a même quelque chose de salutaire et d’assez noble à conserver, coûte que coûte, ce qui a construit notre imaginaire et notre identité. Cette vieille pelisse, enfilade de boîtes, est notre tapisserie des bords de Seine. La capitale s’y calfeutre l’hiver et s’y dépoitraille aux premiers jours de l’été. Les Américains nous l’envient, de Vincente Minnelli à Woody Allen, les réalisateurs en font une halte essentielle de l’escapade amoureuse. Pour les photographes et les écrivains, pour Doisneau et Ronis, pour Calet et Audiberti, les boîtes ont été le réceptacle de la mémoire parisienne. Hier encore, perdu dans mes songes, j’y ai fait un arrêt, un papivore y succombera toujours.

J’y ai trouvé un André Frédérique à la jaquette quadrillée de la maison Plasma, les « nouvelles romaines » de Moravia dans la collection «J’ai lu» dans les tons orangés et puis «Profession menteur», les souvenirs de l’acteur François Périer, il me manquait un peu de monnaie sinon j’aurais acquis le numéro de Lui daté de noël 1969 avec Jane Birkin en déesse hippie. «Pouvoir flâner sur ces mêmes quais sans s’étonner d’être là, feuilleter d’un doigt instruit les livres dans les boîtes des bouquinistes, avec une baguette de pain ou un filet à provisions au bout du bras, c’est le gage d’une civilisation parisienne qui se laisse respirer spontanément» écrivait Antoine Blondin. Ça, c’est Paris!

La chronique a été générée aussi sérieusement que possible. Dans la mesure où vous désirez mettre à disposition des renseignements supplémentaires à cet article sur le sujet « Découverte de paris » vous pouvez utiliser les contacts affichés sur notre site web. Le but de aquarelleparis.fr est de débattre de Découverte de paris dans la transparence en vous donnant la visibilité de tout ce qui est mis en ligne sur ce thème sur le net Cet article, qui traite du thème « Découverte de paris », vous est volontairement proposé par aquarelleparis.fr. Connectez-vous sur notre site internet aquarelleparis.fr et nos réseaux sociaux pour être informé des prochaines publications.