
Compensation des hausses énergétiques ou des baisses de subventions, financement de travaux… Les nombreuses justifications des hausses tarifaires dans les musées et monuments illustrent les besoins grandissants de trouver de nouvelles ressources. Une course en avant en contradiction avec leurs missions premières d’accès à la culture pour tous.
Toutes les institutions ne peuvent pas se targuer d’autofinancer leurs dépenses de fonctionnement à 105 %, comme c’est le cas du château de Chambord avec ses près de 2 millions de visiteurs en 2024. Face au désengagement de l’État et aux baisses de subventions, la stratégie de diversification des ressources devient fondamentale. Dans cette course effrénée pour équilibrer les budgets, les musées multiplient les types de projets. On voit ainsi les châteaux de Versailles et de Chambord jouer la carte des concerts de musique actuelle, le Grand Palais louer des espaces au Balloon Museum pour l’exposition « Euphoria. Art is in the air » – avec un billet à 27 euros contre 17 pour une exposition classique, et aucune gratuité proposée pour les enfants –, ou le musée du Louvre renforcer son offre de visites privatives. Élise Muller, secrétaire nationale du syndicat SUD Culture, les détaille : « Les visites VIP pour six personnes en musée ouvert, aujourd’hui à 800 euros, vont passer à 1 000 euros, tandis que la visite prestige jusqu’à 10 personnes en musée ouvert monte à 3 000 euros, avec accueil dans un salon privé. On a aussi maintenant des visites en musée fermé jusqu’à 8 personnes (à 8h30) pour 10 000 euros, et on grimpe à 16 000 pour 12 personnes le mardi, jour de fermeture. » Des expériences de visites privilégiées, bien loin du flux des 8,1 millions de visiteurs qui foulent les parquets du Louvre chaque année, dans un modèle de privatisation de la culture.
Des tarifs au-delà du seuil dissuasif
Mais l’arme dégainée un peu vite ces derniers temps demeure l’augmentation du billet d’entrée, de façon radicale pour le Louvre – qui a basculé en décembre 2023 de 15 euros (17 sur place) à 22 euros –, et plus modérée pour le château de Versailles, qui est passé à 21 euros, soit une augmentation de 1,50 euro. Du côté du Centre des monuments nationaux (CMN), on accède désormais au toit de l’Arc de triomphe pour 22 euros (16 en basse saison), et aux remparts de Carcassonne pour 19 euros (13 en basse saison). Des montants qui sont largement au-dessus du seuil dissuasif de 10 euros qui fait renoncer à une visite, comme l’analysait en 2020 l’enquête du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) pour son Baromètre des visites patrimoniales, réalisé à la demande de la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture. Un seuil qui risque encore de baisser avec l’augmentation de la pauvreté en France, à son plus haut niveau depuis 30 ans, selon une toute récente étude de l’INSEE.
Ces augmentations ont provoqué l’inquiétude de l’intersyndicale Culture. « Le CMN nous explique qu’avec ces hausses tarifaires, on gagnera 5 millions en 2025, et 8 millions en 2026 », partage Alexis Fritche, secrétaire général de la CFDT-Culture. Mais il craint que la conséquence soit « une concurrence entre les institutions, car certaines familles vont être obligées de choisir. Au lieu de visiter le Louvre, Orsay et Versailles, elles devront arbitrer et se limiter à une ou deux destinations. C’est une mesure contre-productive, car si elle peut induire rapidement une hausse du budget, nous pensons qu’elle sera corrélée à une baisse du nombre de visiteurs à moyen terme ». Et si la gratuité dans de nombreux monuments et musées pour les jeunes jusqu’à 18 ans et les moins de 26 ans européens concerne une part importante des visiteurs (en 2024, 28 % des publics du Louvre, 34 % à Orsay et 36 % à l’Orangerie), l’information n’est pas toujours relayée auprès des publics dits « éloignés » de la culture.
Discrimination entre Européens et non-Européens
Un pas supplémentaire a été franchi avec l’annonce en janvier par la ministre de la Culture de la mise en place, dès le 1er janvier 2026, d’une tarification différenciée entre les visiteurs de l’Union européenne et les autres, qui devront acquitter un billet à 30 euros pour certains lieux. « À ce stade, la mesure concerne des sites disposant d’une très forte fréquentation internationale, à l’instar des domaines de Chambord et de Versailles, du musée du Louvre, du musée d’Orsay et d’un monument parisien du CMN », précise-t-on rue de Valois. On peut noter que Versailles est le plus concerné, puisque ce public hors UE représente 42 % de la fréquentation.
La proposition relève du bras de fer, puisqu’on considère que ces visiteurs, qui viennent en France de loin, peut-être une fois dans leur vie, ne pourront pas faire l’impasse sur ces lieux emblématiques, et qu’ils paieront le prix, quel qu’il soit. « Aucune étude de public n’a été menée, déplore Élise Muller, alors que la demande a été faite par les organisations syndicales et les représentants des conservateurs au conseil d’administration du Louvre. Nous sommes dans la fantasmagorie d’étrangers riches, sans s’appuyer sur des éléments réels. » Cécilie de Saint Venant, directrice générale déléguée au développement de Chambord, est plus mesurée, puisqu’il ressort des études en région Centre-Val de Loire que « l’entrée de Chambord représente une part assez faible du budget global alloué par des touristes hors Union européenne, incluant avion, restaurants, hôtels… ». Là encore, on dresse un portrait-robot assez monolithique du touriste extraeuropéen.
Pour quel gain ?
Pour l’instant, ni le Louvre ni Versailles n’ont pu donner une estimation des recettes attendues avec cette nouvelle tarification. « C’est trop tôt », répond-on, tandis que Cécilie de Saint Venant tranche : « Les recettes de cette mesure ne se compteront pas en millions d’euros à Chambord. » Mais le modèle séduit. « J’ai déjà reçu des appels de châteaux privés qui sont dans l’attente des résultats de cette phase test – pour laquelle nous nous sommes portés volontaires –, pour éventuellement l’appliquer chez eux. »
Le résultat escompté sera-t-il significatif ? Est-ce une première étape pour rapidement aligner tous les tarifs à 30 euros ? Il faut bien débourser 30 dollars (environ 25,50 euros) au Metropolitan Museum de New York… Aussi, le ministère de la Culture justifie sa tarification différenciée par le fait que « cette pratique est courante dans de nombreux musées et sites historiques dans le monde connaissant une forte demande touristique internationale ». Sauf que dans certains cas, comme au Taj Mahal (28 dollars) ou au Machu Picchu (57 dollars), l’enjeu est aussi de limiter le nombre de touristes pour protéger les monuments de la surfréquentation.
Par ailleurs, instaurer une différence selon la nationalité entre en contradiction avec les valeurs universalistes héritées des Lumières, qui sont à l’origine de la création des musées après la Révolution française. L’article 7 de la loi de 2002 relative aux musées de France stipule que « les droits d’entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large ». Pour Marie-Claire Martel, vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (et autrice d’un rapport en 2017 intitulé Vers la démocratie culturelle), « cette histoire de tarifs est l’arbre qui cache la forêt, car je pense qu’on a oublié ce qu’est une société. Elle se caractérise par deux choses : une culture commune et partagée, et des liens de solidarité. Or, cet élément fondamental disparaît et la culture est vue comme une marchandise, quelque chose qui peut rapporter de l’argent par le tourisme, alors qu’en réalité, c’est ce qui nous constitue en société. Il s’agit là d’un élément démocratique essentiel, qui doit être pris en charge par la collectivité, car c’est la société elle-même qui se donne la démocratie comme forme d’organisation. » Et nécessite donc de revenir aux fondamentaux.
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