Sur les toits de Notre-Dame de Paris : l’art méconnu des couvreurs ornemanistes

, Sur les toits de Notre-Dame de Paris : l’art méconnu des couvreurs ornemanistes

C’est à quatorze ans qu’Émile-Armand Benoit, mis au défi par un professeur de couverture, ami de ses parents, a embouti du plomb pour la première fois. Une « belle expérience » déterminante qui, un an plus tard, a orienté son choix professionnel. Il décide de suivre un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) Couvreur puis un brevet professionnel (BP) Couvreur en alternance. « Il n’y a pas de formation pour devenir couvreur ornemaniste, on l’apprend en atelier ou sur les chantiers », explique-t-il. Meilleur Ouvrier de France en 2015 à vingt-neuf ans, il avait eu auparavant l’opportunité de participer, par exemple, à la restauration d’œils-de-bœuf et de lucarnes du corps central du château de Versailles.

 

À lire aussi :

Un travail de précision

Alors que les couvreurs peuvent être amenés à intervenir sur différents types de matériaux (bois, chaume, lauze, ardoise, tuile, zinc…), le couvreur ornemaniste, quant à lui, travaille essentiellement le cuivre, le zinc et le plomb. « Le plomb est un métal souple et malléable mais aussi très dense et lourd. Il se raye facilement et peut se percer. Il est donc conseillé de ne pas taper trop fort et au bon endroit. La maladresse est fatale, si on fait un pli, on ne peut pas revenir en arrière. Le cuivre et le zinc sont quant à eux plus rigides et le premier est plus facile à déformer que le second », développe Émile-Armand Benoit, actuellement couvreur ornemaniste chez Le Bras Frères (Meurthe-et Moselle), mandataire du groupement, composé des entreprises Balas (Hauts-de-Seine), Le Ny (Rhône) et UTB (Seine-Saint-Denis), chargé de la réalisation des couvertures et ornements de la flèche, dont les crochets, griffons et gargouilles qui habillent cet ouvrage, ainsi que des deux bras du transept. C’est le matériau d’origine, le plomb coulé sur sable, qui a été choisi pour sa grande résistance, sa pérennité, son étanchéité et sa malléabilité.

Les couvreurs ornemanistes travaillent essentiellement le cuivre, le zinc et le plomb ©David Bordes

Les couvreurs ornemanistes travaillent essentiellement le cuivre, le zinc et le plomb ©David Bordes/ Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

Le travail du métal

La fabrication d’un ornement de toiture, que ce soit un œil-de-bœuf, une lucarne, un épi de faîtage, un bandeau décoratif, un pot à feu, une girouette ou une gargouille, débute par un dessin, souvent réalisé à la main. La mise en forme du métal est le cœur du savoir-faire du couvreur ornemaniste. « Nous travaillons avec des feuilles de plomb de différentes épaisseurs », précise Frédérique Renard, couvreur ornemaniste, formée chez les Compagnons du devoir, œuvrant au sein de l’Atelier Duplessis, l’atelier d’ornementation d’UTB installé dans la Nièvre, où seront fabriqués la croix ainsi que les deux vouivres (dragons) qui orneront l’abside du chœur. L’artisan d’art possède plusieurs techniques : le pliage, utilisé plutôt pour le zinc, l’emboutissage, le repoussage, l’étirage ou le planage. « L’emboutissage consiste à poser une feuille sur un pinacle en bois, par exemple, puis à déplacer la matière à l’aide d’un maillet souple jusqu’à ce qu’elle épouse la forme des décors », indique Émile-Armand Benoit.

La fabrication d’un ornement de toiture débute par un dessin ©David Bordes

La fabrication d’un ornement de toiture débute par un dessin © David Bordes/Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

Selon l’opération de façonnage réalisée, il utilise différents types de battes ou un maillet, à l’origine en bois et aujourd’hui en Teflon, outils également employés par les couvreurs. Après la mise en forme vient le moment de l’assemblage. « Les feuilles sont superposées et non assemblées bord à  bord pour préserver l’étanchéité. Chaque feuille est maintenue en haut par des pointes en cuivre et en bas par des pattes de fixation en cuivre étamé », détaille-t-il. Parfois, il habille dans un premier temps des morceaux de charpente, maquettes à échelle 1, afin de déterminer les dimensions des feuilles et leur ordre de pose mais aussi d’observer le rendu esthétique. Pour certaines pièces comme les trente-deux gargouilles, les huit griffons et les huit grands-ducs de la flèche, il est nécessaire de fabriquer une sculpture en bois ou en polystyrène recouvert de plâtre, à partir de photos et de documents d’époque.

Chaque feuille est maintenue en haut par des pointes en cuivre et en bas par des pattes de fixation en cuivre étamé © David Bordes/Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

Chaque feuille est maintenue en haut par des pointes en cuivre et en bas par des pattes de fixation en cuivre étamé © David Bordes/Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

À l’aide de ce modèle est réalisé un moule en élastomère puis en plâtre dans lequel sera coulé le plomb. Une fois la pièce démoulée, l’ornemaniste découpe à la cisaille les dépouilles (forme biseautée donnée aux faces latérales d’un moule afin de faciliter le démoulage) ou les barbes (bavure de métal laissée sur une pièce après son façonnage par une machine-outil), surplus de métal qui entoure le décor, puis il lime les ébarbures (copeau ou rognure enlevé par élimination au burin, à la lime, à la meule ou à l’ébarboir des petites irrégularités en saillie formées par les joints de moulage d’une pièce ou par le découpage de métaux) et gratte les bords de la pièce. Certains éléments sont reproduits en série : c’est le cas des très nombreux crochets et des huit grands ducs ornant la flèche de la cathédrale. «Tous les ornements doivent être démontables, réversibles », remarque Frédérique Renard.

Une fois la pièce démoulée, l’ornemaniste est découpé à la cisaille ©David Bordes

Une fois la pièce démoulée, l’ornemaniste est découpé à la cisaille © David Bordes/Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

Des savoir-faire à valoriser

Lors de l’installation d’ornements de toiture, le couvreur ornemaniste, en collaboration avec le couvreur, doit s’assurer de la mise hors d’eau du bâtiment en vérifiant l’étanchéité au sein de l’élément lui-même, au niveau des soudures notamment, mais aussi au niveau de la fixation à la couverture. « La moindre goutte d’eau doit pouvoir être évacuée. La fixation doit être à la fois esthétique et invisible, pour résister aux intempéries », prévient Vincent Combe, responsable travaux couverture bardage chez UTB (Seine-Saint-Denis), au sein des groupements chargés de la réalisation des couvertures du chœur et de la nef, avec les entreprises Balas (Hauts-de-Seine), Bourgeois (Ain) et Coanus (Marne). Cette opération de pose est délicate quand on sait que certaines pièces pèsent une soixantaine de kilos.

Lors de l’installation d’ornements de toiture, le couvreur ornemaniste, en collaboration avec le couvreur, doit s’assurer de la mise hors d’eau ©David Bordes

Lors de l’installation d’ornements de toiture, le couvreur ornemaniste, en collaboration avec le couvreur, doit s’assurer de la mise hors d’eau ©David Bordes / Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris.

Couvreur ornemaniste est un métier rare : on compte en France moins d’une dizaine d’ateliers spécialisés dont l’activité est principalement tournée vers la restauration et la reproduction, parfois vers la création. « C’est un tout petit milieu », confirme Julien Soccard, directeur opérationnel chez UTB. Et de poursuivre : « Les couvreurs ornemanistes viennent soit de la couverture, avec des connaissances en soudure, soit de la chaudronnerie, avec des compétences en traçage et en façonnage. Nous les formons à l’atelier. Pour préserver ces savoir-faire, il est important qu’il y ait des chantiers de restauration. » La restitution des ornements de toiture de la flèche et de l’ensemble du grand comble de Notre-Dame permet ainsi de mettre à l’honneur ce métier encore trop méconnu.


La chronique a été générée aussi sérieusement que possible. Dans la mesure où vous désirez mettre à disposition des renseignements supplémentaires à cet article sur le sujet « Découverte de paris » vous pouvez utiliser les contacts affichés sur notre site web. Le but de aquarelleparis.fr est de débattre de Découverte de paris dans la transparence en vous donnant la visibilité de tout ce qui est mis en ligne sur ce thème sur le net Cet article, qui traite du thème « Découverte de paris », vous est volontairement proposé par aquarelleparis.fr. Connectez-vous sur notre site internet aquarelleparis.fr et nos réseaux sociaux pour être informé des prochaines publications.