« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie », écrivait William Blake. Vous avez peut-être lu Les Portes de la perception d’Aldous Huxley (1954), livre dont le titre est inspiré du poème, et qui relate l’expérience, faite par l’auteur en 1953, de prise de mescaline, substance psychédélique dont l’ingestion aurait changé sa perception du monde extérieur ? Ou Le serpent cosmique (1995) de Jérémy Narby, enquête étalée sur dix ans, de la forêt amazonienne aux bibliothèques d’Europe, évoquant les connaissances botaniques des Indiens du Nord-Ouest de l’Amérique latine, provenant des hallucinations induites par certaines plantes ? Au Musée du quai Branly, il ne s’agit plus de témoignages littéraires mais des visions plastiques et productions artistiques suscitées par un breuvage hallucinogène préparé à base de plantes. Par l’ayahuasca – ou « liane des morts » en langue Quechua – un breuvage traditionnellement utilisé, par les populations autochtones d’Amazonie péruvienne, à des fins cérémonielles, spirituelles et thérapeutiques.
D’étranges et envoûtants dessins
Ces dessins géométriques – les kené – faits de lignes peintes, tissées, brodées ou gravées que le visiteur découvre, au début du parcours de l’exposition, sont l’œuvre d’artistes du peuple shipibo-konibo. Réputés pour leurs productions artistiques très esthétiques, les shipibo-konibo sont environ 35 000 à vivre en Amazonie péruvienne, explique David Dupuis, le commissaire de l’exposition, docteur en anthropologie et chargé de recherche à l’Inserm. D’étranges et envoûtants dessins, composés d’un maillage de lignes d’épaisseurs et de couleurs différentes, donnant une impression de mouvement. Certains y voient des nervures de feuilles, des ailes de papillons, la peau d’un serpent ou celle d’un jaguar.
Sara Flores, sans titre (Tanan Kené), 2021 © avec l’autorisation de l’artiste / The Shipibo – Conibo Center
« Les artistes affirment qu’avant de peindre, de broder ou de tisser, ils voient en esprit la composition, sous une forme brillante et lumineuse », explique, dans le magnifique catalogue de l’exposition, Luisa Elvira Belaunde, professeur de l’École professionnelle d’anthropologie, Université nationale principale de San Marcos à Lima (Pérou). Si l’on pointe, en outre, que des études de laboratoires et des essais cliniques montrent que ces pratiques chamaniques pourraient avoir des propriétés thérapeutiques et contribuer à traiter des problèmes d’anxiété, d’addiction ou de dépression, nul doute, en ces temps anxiogènes, que la mezzanine Est du musée du quai-Branly risque de ne pas désemplir.
Vue de l’exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayhuasca en Amazonie péruvienne » au musée du Quai-Branly-Jacques Chirac à Paris en 2023 © Musée du Quai-Branly-Jacques Chirac. Photo : Léo Delafontaine
Apparitions visionnaires
Avec l’émergence du tourisme chamanique, très en vogue depuis la seconde moitié du XXème siècle, une nouvelle iconographie liée aux visions chamaniques et qui rompt avec la tradition de l’art autochtone, est apparue dans les années 1980. Elle est faite d’images figuratives, reproduites sur des toiles, à l’attention d’un public principalement occidental. Celles-ci s’inspirent de la mythologie, de la cosmologie et des modes de vie des populations autochtones de la région andine.
Vues de l’exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayhuasca en Amazonie péruvienne » © musée du Quai-Branly-Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine
Pablo Amaringo (1938-2009, artiste-chamane) est la figure la plus emblématique de cette peinture figurative. « Dans les années 1959-1962, écrit-il dans un manuscrit de 35 pages, dans une petite maison au bord du Fanacha, un affluent du fleuve Ucayali, on avait l’habitude de boire l’ayahuasca tous les quatre jours. C’est là que j’ai acquis la conscience des apparitions visionnaires provoquées par cette plante aux effets extraordinaires. » Avant de se mettre à la peinture, il a réalisé une thèse de doctorat sur le végétalisme, une tradition syncrétique des populations de l’Amazonie péruvienne, selon laquelle des végétaux, dont l’ayahuasca, sont considérés comme « docteurs » ou « professeurs ».
Vue de l’exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayhuasca en Amazonie péruvienne » au musée du Quai-Branly-Jacques Chirac à Paris en 2023 © Musée du Quai-Branly-Jacques Chirac. Photo : Léo Delafontaine
Jardin des délices
Ne manquez pas une de ses toiles les plus célèbres, Cosmologia Amazonica (1987). Sorte de Jardin des délices à la mode amazonienne, elle représente, par une nuit de pleine lune, un groupe de personnes consommant de l’ayahuasca au bord d’un lac. En arrière-plan, au centre de la toile, on aperçoit une ville ceinte de murailles. Dans la partie haute, des anges ailés volent dans le ciel aux côtés d’oiseaux bigarrés, de cavaliers blancs, et d’un roi, assis sur son trône.
Pablo Amaringo, Cosmología amazónica, 1987 © avec l’autorisation de l’artiste / Pioneeri Production oy
Au premier plan, des reines, empereurs, princes et princesses, d’une grande beauté, vêtus de costumes étincelants et aussi un étrange vaisseau spatial d’où émergent d’étranges créatures aux habits de lumière. « Chaque personnage a une fonction et un nom précis, chaque arbre fournit des renseignements sur la façon de s’en servir afin de vaincre différentes maladies ou maléfices, de soigner des blessures, d’attirer l’argent ou d’être heureux en amour », écrit Lui Eduardo Luna, anthropologue colombien, qui dirige le Centre de recherches Wasiwaska à Florianopolis (Brésil). C’est lui qui, au milieu des années 1980, a suggéré à Pablo Amaringo de peindre ses saisissantes visions.
Vue de l’exposition « Visions chamaniques. Arts de l’ayhuasca en Amazonie péruvienne » au musée du Quai-Branly-Jacques Chirac à Paris en 2023 © Musée du Quai-Branly-Jacques Chirac. Photo : Léo Delafontaine
« Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne »
Musée du quai Branly-Jacques Chirac
37 quai Jacques Chirac, 75007 Paris
Jusqu’au 26 mai 2024
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