C’est une polémique comme les aime la France, ce pays où la culture est encore un enjeu qui échauffe les esprits et alimente les débats. A priori, il n’y a rien de politique dans cette querelle, même si d’aucuns aimeraient en faire une énième bataille entre Anciens et Modernes. À l’issue d’un concours présidé par Bernard Blistène, à la tête du dispositif « Mondes nouveaux » pour le soutien à l’art contemporain, l’artiste cotée Claire Tabouret a été choisie parmi huit candidats pour réaliser un ensemble de six vitraux destinés aux chapelles du bas-côté sud de Notre-Dame de Paris. Voilà le « geste architectural contemporain » voulu par Emmanuel Macron – supposément à la demande du clergé affectataire et de l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich – pour parachever le formidable défi de restaurer en cinq ans, à l’identique, la cathédrale ravagée par les flammes le 15 avril 2019.
Cette restauration a été saluée unanimement dans le monde entier et mise à l’actif d’un jeune président qui, plutôt que de se lancer dans de grands chantiers contemporains comme ses prédécesseurs, a préféré sauver des vieilles pierres. Au château de Villers-Cotterêts, il a installé la Cité internationale de la langue française. Il a alloué les budgets nécessaires pour le grand « plan Cathédrales » de Roselyne Bachelot et soutenu la souscription de la Fondation du patrimoine en faveur du patrimoine religieux en souffrance.
En 2017, il m’a aussi confié la mission « patrimoine en péril » qui a déjà récolté, notamment avec son Loto, 300 millions d’euros en sept ans pour sauver près de 1 000 sites. Mais son grand œuvre aura été le chantier de la cathédrale. La journée de sa réouverture solennelle, le 7 décembre 2024, restera assurément dans les mémoires. Alors pourquoi prendre le risque d’une nouvelle polémique, quand on peut afficher un honorable bilan culturel ? Certains disent que le président de la République veut marquer de son empreinte cette restauration réalisée en un temps record. Mais pourquoi choisir de le faire en remplaçant par des créations contemporaines six vitraux de Viollet-le-Duc, classés au titre des monuments historiques et miraculeusement épargnés par l’incendie ? Certes, il est prévu de les déposer et de les exposer dans le futur (et hypothétique) musée de Notre-Dame, sans doute un jour dans l’actuel Hôtel-Dieu, mais encore faut-il trouver le budget pour qu’il naisse…
Une pétition en ligne
Aussitôt le concours annoncé, le directeur de « La Tribune de l’art », terrible juge de touche des règles en matière de patrimoine, lançait une pétition en ligne qui a déjà recueilli près de 280 000 signatures. Malgré cette mobilisation, rien ne saurait détourner le président de la République de son projet, relayé par le zèle de sa ministre de la Culture, Rachida Dati, qui assure que « patrimoine et création doivent aller de pair ».
Oui, à condition de respecter les règles qui régissent le patrimoine. À quoi sert de classer les monuments de Marseille et de Paris si c’est pour ensuite contrevenir aux règles qui les protègent ? À cette ministre qui parle de « querelles d’un autre âge entre Anciens et Modernes », peut-être faudrait-il rappeler cette page de notre histoire nationale : c’est pour lutter contre l’habitude de détruire les strates du passé et de reconstruire par-dessus que Victor Hugo publia, en 1832, « Guerre aux démolisseurs », et qu’il écrivit son roman-cathédrale « Notre-Dame de Paris », pour la sauver « des barbares ». D’autres, comme Prosper Mérimée et Eugène Viollet-le-Duc, s’engagèrent en faveur de la préservation du patrimoine tout au long du XIXe siècle, et les innovations de ce dernier pour « parachever l’œuvre monumentale des bâtisseurs du Moyen Âge » ont été classées à Notre-Dame avec sa flèche, ses sculptures… et ses vitraux.
« Si l’État ne respecte pas la règle qu’il impose à tous, comment pourrons-nous demander aux propriétaires privés ou publics de monuments historiques de ne pas faire la même chose ? »
La protection du patrimoine, voilà bien une idée neuve et moderne, puisque les premières lois régissant les Monuments historiques datent de 1913. Par la suite, la France a signé en 1964 une charte de Venise qu’elle a initiée, fixant un cadre pour les restaurations patrimoniales : à savoir conserver le dernier état historique connu. Certes, elle n’a pas force de loi. Mais faudrait-il pour autant que notre pays ne respecte pas sa signature ? Beaucoup arguent que les vitraux de Viollet-le-Duc « sont moches et ternes » ou, en termes plus mesurés, que « leur intérêt ne saute pas aux yeux ». Soit. Depuis quand les critères esthétiques régissent-ils la protection du patrimoine ? Ce qui est inscrit ou classé au titre des monuments historiques est protégé. Et sous la bonne garde des directions régionales des affaires culturelles (Drac) et des conservateurs régionaux des monuments historiques.
Tous me disent, à propos du remplacement des six verrières de Notre-Dame : « Si l’État ne respecte pas la règle qu’il impose à tous, comment pourrons-nous demander aux propriétaires privés ou publics de monuments historiques de ne pas faire la même chose ? » Et ce n’est pas parce que les services des monuments historiques du ministère de la Culture ont gratté les peintures murales de Viollet-le-Duc dans les années 1960, quand on voulait faire table rase du passé, qu’il faut aujourd’hui reproduire ce geste. Parmi les signataires de la pétition, beaucoup de fonctionnaires du ministère de la Culture qui ont préféré rester anonymes !
La levée de boucliers a été lancée dès le 11 juillet 2024 par une autorité compétente, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, émanation du ministère de la Culture (CNPA), qui a rendu un avis négatif unanime en s’appuyant sur les principes de la charte de Venise. Le ministère, qui n’ignore pas qu’en cas de recours devant le Conseil d’État sa position sera fragilisée, a décidé de passer outre et de lancer le concours. Scène cocasse le 20 septembre dernier, veille des Journées du patrimoine, lorsque le président de la République et Brigitte Macron se rendent à Chartres – avec la ministre alors démissionnaire Rachida Dati – et visitent les ateliers de vitraux Lorin, rénovés avec l’aide de la « mission Bern ».
Emmanuel Macron se tourne vers la directrice des lieux, Élodie Vally : « Vous ne concourrez pas pour les vitraux de Notre-Dame ? » Un peu gênée, elle lui répond que l’artiste Pascal Convert, qui faisait équipe avec le maître verrier Olivier Juteau, « a préféré renoncer par respect du vote unanime de la commission du patrimoine ». Moi-même, je n’ai cessé de l’alerter sur cette entrave aux règles. L’article L621-9 du Code du patrimoine dispose que ce qui est « classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l’autorité administrative ».

Claire Tabouret présente les esquisses de son projet, validé, de nouveaux vitraux contemporains pour Notre-Dame. Le 18 décembre 2024. AFP / © STEPHANE DE SAKUTIN
Certes, une modification d’un vitrail est possible sur « autorisation de l’autorité administrative », laquelle serait accordée par le préfet, après les six mois d’examen du dossier par la Drac d’Île-de-France. Mais d’ores et déjà, l’association Sites et monuments prévoit de déposer un recours contre l’autorisation de travaux dès qu’elle sera émise. Ajoutons que l’avis consultatif mais unanime de la CNPA pèsera lourd dans la décision que rendra le Conseil d’État. Certains argumentent que pour restaurer Notre-Dame en cinq ans, il a fallu s’affranchir des réglementations strictes. Sans doute plus pour l’attribution des marchés publics que pour les règles du patrimoine, qui ont été scrupuleusement respectées !
Quand la reine Mathilde interrogeait Brigitte Macron sur la question
Pour la petite histoire, ce débat a beaucoup animé les réceptions offertes au couple royal belge en octobre. Après une première passe d’armes courtoise avec le président au dîner de gala, le lendemain, au déjeuner offert par l’ambassadeur de Belgique, la reine Mathilde interrogeait Brigitte Macron sur la question. Elle expliquait alors à la reine qu’il valait mieux ne pas relancer le débat avec Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, et moi, tant nous étions opposés à ce projet. Ce n’est donc pas faute d’avoir alerté, avant de prendre position publiquement…
Quelques semaines plus tard, d’ailleurs, les membres de l’Académie des beaux-arts poursuivaient la discussion engagée lors de leur séance du 13 décembre, soutenant la conception d’un musée consacré à la cathédrale, promis par le président de la République, au sein de l’Hôtel-Dieu. « Les membres de l’Académie ont estimé qu’il était naturel que la création contemporaine prenne toute sa place à Notre-Dame… Ils considèrent néanmoins que l’intervention d’artistes d’aujourd’hui ne saurait se faire au prix de la dépose de décors existants.
En particulier, ils s’inquiètent que l’annonce de la tenue d’un concours pour la création de vitraux contemporains, dont ils soutiennent le principe, porte sur le remplacement de verrières non figuratives imaginées par Viollet-le-Duc. L’architecte avait voulu, dans les chapelles, un effet de lumière. L’incendie a épargné ces verrières. L’Académie des beaux-arts souhaite que d’autres emplacements, à commencer par l’espace de la tour nord, intégrés au circuit de visite du public, puissent être envisagés pour cette commande de vitraux contemporains. Ainsi, ce projet viendra embellir davantage encore ce patrimoine et marquer de manière symbolique la vie de la cathédrale. »
En effet, pourquoi remplacer des vitraux existants alors que des verres blancs tapissent les beffrois ? Cela ménagerait toutes les susceptibilités et respecterait les règles. Mais on peut craindre que la commande soit déjà passée, l’œuvre en cours de réalisation, et les 4 millions d’euros… dépensés avant même d’être sûrs que ces vitraux pourront être installés. Certes, l’État a toujours soutenu l’art contemporain par ces commandes publiques, et les vitraux modernes de la Sud-Coréenne Bang Hai Ja sont du plus bel effet dans la chapelle Saint-Piat de la cathédrale de Chartres… mais ils n’ont pris la place d’aucune œuvre classée.
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