Notre-Dame de Paris : de quel événement méconnu et pourtant historique la cathédrale a-t-elle été le théâtre en 1302

, Notre-Dame de Paris : de quel événement méconnu et pourtant historique la cathédrale a-t-elle été le théâtre en 1302

En ce 10 avril 1302, le parvis de Notre-Dame est le théâtre d’un spectacle étincelant. Un immense cortège se fraie un passage vers l’immense falaise de pierre blonde de la cathédrale, achevée un demi-siècle plus tôt. Le roi et les princes du sang, les archevêques, les évêques, les abbés, les prieurs, doyens et prévôts d’abbaye, les procureurs des chapitres cathédraux et conventuels, les barons, les ducs, les comtes, les vidames et châtelains, et enfin les bourgeois, consuls, maires, échevins ou conseillers des communes et communautés du royaume, ils sont 800 ou 1000, davantage peut-être, venus de tout le royaume.

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La convocation des trois ordres

Tous se rendent à l’assemblée extraordinaire convoquée à Paris par le roi Philippe le Bel. L’Histoire a retenu cet événement comme la première réunion des « États généraux » du royaume. Cette convocation des trois ordres, clergé, noblesse et tiers état, s’inscrit dans le contexte des vives tensions existant entre le Saint-Siège et le trône de France depuis l’élection de Boniface VIII. D’un côté Philippe le Bel, le roi guerroyant, toujours en quête de fonds, de l’autre le pape soucieux de son autorité. La décision de taxer l’Église de France, l’arrestation de l’évêque de Pamiers, la remise en question de l’autorité de l’Inquisition dans l’affaire Délicieux, du nom d’un jeune franciscain, déclenchent une série de bulles papales, lettres scellées de la fameuse « bulle » de plomb.

Réunion des États généraux sous la présidence de Philippe le Bel, à Notre-Dame de Paris, le 10 avril 1302, gravure © Bridgeman Images

Réunion des États généraux sous la présidence de Philippe le Bel, à Notre-Dame de Paris, le 10 avril 1302, gravure © Bridgeman Images

Boniface VIII y reproche à Philippe le Bel de persécuter l’Église de France. La bulle du 5 décembre 1301, « Ausculta fili » s’ouvre ainsi : « Écoute, fils, les préceptes d’un père et, quant à la doctrine, d’un maître qui tient sur terre la place de Celui qui est seul maître et seigneur. » Suit une dénonciation des « injustes oppressions et abus de pouvoir », et même des « délits, crimes et péchés » commis par le mauvais fils. Boniface appelle les évêques de France à un concile à Rome le 1er novembre, invitant le roi à y assister ou s’y faire représenter.

Une contre-offensive aux affronts du Pape

L’assemblée de Notre-Dame est la contre-offensive à ces affronts. Humilié par un pape qui s’écarte de la « théorie des deux glaives », c’est-à-dire des deux pouvoirs, temporel et spirituel, indépendants l’un de l’autre, Philippe entend démontrer que la nation tout entière ne reconnaît qu’un seul souverain, lui, le roi de France. Ce n’est pas l’amour du peuple qui le pousse à appeler la nation aux délibérations souveraines. Il est « difficile de nier que Philippe le Bel ait été un grand roi, écrit en effet l’historien Henri Hervieu, mais il est aussi impossible de ne pas constater qu’il fut despotique toujours, et déloyal souvent. »

Portrait de Philippe IV le Bel © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

Portrait de Philippe IV le Bel © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

En réalité, les représentants des trois ordres ne sont pas tant consultés qu’invités à « consentir à sa volonté ». Néanmoins, un précédent historique est créé, annonciateur d’une émancipation progressive. Mais pourquoi tenir cette assemblée à Notre-Dame ? Plus vaste édifice de la chrétienté jusqu’au milieu du XIIIe siècle, la cathédrale est encore, à Paris, le seul capable d’accueillir une telle foule. Maison de Dieu, elle joue aussi le rôle de maison commune dans certaines fêtes et occasions particulières. D’autres grandes assemblées du royaume se tiendront par la suite au Louvre et à la Sainte-Chapelle.

N’est pas convié qui veut

Les participants à l’assemblée du 10 avril ont dû acquitter les frais du « chevaucheur » royal (messager à cheval), le roi n’ayant à dépenser, écrit Hervieu, « que le parchemin de ses lettres et la cire de ses sceaux ». Certains n’ont pu se rendre à la convocation, à cause de leur âge, de leur santé défaillante, des coûts trop élevés du voyage. Après avoir présenté son accréditation, leur « procureur » (mandataire) doit énoncer les motifs de l’absence, sous peine de sanction. Les seigneurs ont été choisis en fonction de l’importance de leurs fiefs, et non de leur mérite personnel. Seule compte la terre ! Certains nobles et prélats sont d’ailleurs représentés par des roturiers.

Jean Alaux, Réunion des États généraux de Paris, le 10 avril 1302, XIXe siècle, huile sur toile, Versailles, château de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

Jean Alaux, Réunion des États généraux de Paris, le 10 avril 1302, XIXe siècle, huile sur toile, Versailles, château de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

On trouve également des dames dans cette assemblée, les femmes nobles possédant les mêmes droits que les hommes, lever les impôts, rendre la justice, lever une armée, ont aussi les mêmes devoirs. Les campagnes ne sont pas représentées, ni même les villes secondaires : l’administration royale n’en possède pas la liste ! Seules figurent donc ici les villes les plus considérables du royaume ou « bonnes villes », ayant charte de commune ou possédant des magistrats municipaux. En ce 10 avril 1302, dans sa volonté de prendre à témoin toute la chrétienté dans une affaire l’opposant au pape, le roi a également fait appel à des princes étrangers, tels le duc de Lorraine, le comte de Hainaut et de Hollande, le comte de Luxembourg…

Ennemis du royaume et du roi

En attendant cette assemblée convoquée dès le 15 février, Philippe le Bel a chevauché tout le mois de mars dans l’est du royaume. On connaît sa passion pour la chasse. Mais son itinéraire capricieux a fini par inquiéter la cour. Convoquée pour le 8, la séance a lieu le mardi 10 avril, avec deux jours de retard. Dans la grande nef, chacun des ordres prend sa place assignée. Sur une estrade, le roi, les princes du sang, les barons, les prélats. Le tiers état se tient à leurs pieds… L’orateur du gouvernement, Pierre Flote, chancelier du royaume, membre du Conseil, est aussi le stratège de la politique royale à l’égard du Saint-Siège.

Portrait du pape Boniface VIII © Giancarlo Costa/Bridgeman Images

Portrait du pape Boniface VIII © Giancarlo Costa/Bridgeman Images

Il parle depuis une place élevée, de manière que sa harangue soit entendue de tous. Elle résonne sous les hautes voûtes. Il lit les bulles pontificales, « résumées » dans un texte incendiaire, et annonce que le pape va tenir concile à Rome. Le roi préside mais ne prend pas la parole. Lu par Flote, le discours affirme sa résolution de « tout exposer, la fortune comme la vie, pour sauvegarder pleine et entière l’indépendance du royaume ». Il désigne comme « ennemis du royaume et comme les nôtres personnels » ceux qui s’y opposeront et annonce une « réforme du royaume et de l’Église gallicane ». L’expression utilisée ici pour la première fois signifie clairement qu’il en est le chef.

Une réponse vigoureuse au Saint-Siège

Suivent les débats. Puis noblesse et tiers état se retirent pour délibérer à part. Une réponse vigoureuse est adressée au Sacré Collège. Boniface n’y est pas nommé mais désigné par une périphrase laissant entendre qu’il a usurpé son trône. Son « inimitié longuement nourrie sous l’ombre d’amitié » par ses « tortionnaires et déraisonnables entreprises » est dénoncée. Prince du sang, porte-parole des nobles et du tiers état, Robert d’Artois, « toujours prompt à s’enflammer, déclara que la noblesse combattrait jusqu’au bout pour la liberté de la Couronne, dût-elle combattre seule si jamais le roi venait à se lasser », écrit Jean Favier dans sa biographie de Philippe le Bel.

Portrait du comte Robert d’Artois © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

Portrait du comte Robert d’Artois © RMN-Grand Palais (château de Versailles) /G. Blot

Puis le vote prend place. Mis dans l’embarras, le clergé a demandé un délai de réflexion pour étudier les propositions du Conseil royal : refusé ! Refusée aussi, la permission de se rendre à Rome. Pris entre leur fidélité au roi et leur devoir d’obéissance au pape, ses membres rédigent sur le champ une lettre au Saint-Père, faisant le récit de l’assemblée sans en reprendre à leur compte les graves accusations. Ils lui suggèrent de révoquer le concile. Au sortir de Notre-Dame, la résolution de Philippe le Bel est devenue celle de la nation tout entière.


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