Notre-Dame de Paris, 1844-1864 : le colossal chantier qui a métamorphosé la cathédrale

, Notre-Dame de Paris, 1844-1864 : le colossal chantier qui a métamorphosé la cathédrale

Dans Notre-Dame de Paris paru en 1831, Victor Hugo écrit : « Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église Notre-Dame de Paris, mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument. » À la suite de la parution de son roman et d’une véhémente pétition où l’on trouve les signatures du peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres et de Victor Hugo, le gouvernement du roi Louis-Philippe, présidé par le maréchal Soult, s’empare alors du sujet.

À lire aussi :

Le concours de 1842

En 1842, le ministre de la Justice et des Cultes, Nicolas Martin du Nord, en charge de l’entretien des édifices cultuels conformément aux dispositions du concordat de 1801, met en place un comité pour lancer la première restauration complète de Notre-Dame. Un concours est organisé. Forts de leur expérience sur le chantier de la Sainte-Chapelle, Jean- Baptiste Lassus (1807-1857) et Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) soumettent un projet. Les deux hommes figurent parmi les meilleurs connaisseurs de l’architecture médiévale. Ils remportent le concours et sont officiellement chargés de la restauration de l’édifice en avril 1844. Un bureau est installé dans la tour sud, avec parquet et poêle à bois. Élève et gendre de Viollet-le-Duc, l’architecte Maurice Ouradou rejoindra le chantier en 1860.

, Notre-Dame de Paris, 1844-1864 : le colossal chantier qui a métamorphosé la cathédrale

Portraits d’Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume (vers 1885) et Portrait d’Eugène Viollet-le-Duc, présentés dans l’exposition « La flèche de Viollet-le-Duc », Cité de l’Architecture et du patrimoine, Paris, 2019 (©Guy Boyer).

Respectueux du monument originel et des ajouts postérieurs, les architectes s’engagent à conserver, consolider, restaurer « avec une religieuse discrétion, avec une abnégation complète de toute opinion personnelle », tout en rendant au monument « la richesse et l’éclat dont il a été dépouillé ». En archéologues scrupuleux, ils dressent un tableau historique et physique de l’état du monument et réunissent une importante documentation d’estampes, de dessins anciens. L’emploi de la fonte et du fer est banni, ainsi que celui des ciments et mortiers modernes. La pierre utilisée est un calcaire fin et résistant choisi dans diverses carrières des environs de Paris et jusqu’en Bourgogne. Ce chantier colossal s’ouvre en 1845. Il débute par la construction d’une nouvelle sacristie, la précédente, édifiée en 1758 par Jacques- Germain Soufflot, ayant été trop endommagée par les émeutes du 14 février 1831.

, Notre-Dame de Paris, 1844-1864 : le colossal chantier qui a métamorphosé la cathédrale

Vue du chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (avant 1858) d’Édouard Baldus, présentée dans l’exposition « La flèche de Viollet-le-Duc », Cité de l’Architecture et du patrimoine, Paris, 2019 (©Guy Boyer).

Dans les moindres détails

Bâti dans le style orné du XIIIe siècle, le nouveau bâtiment repose sur des fondations profondes (plus de 9 mètres), le terrain étant instable. « Avec l’église Sainte-Clotilde, l’édifice constitue l’un des premiers ensembles néogothiques complets de la capitale », écrit Alexandre Gady. Les équipes de maçons, contre-maîtres, compagnons et simples « garçons » sont placées sous la direction des maçons entrepreneurs Milon et Sauvage, sous le contrôle des architectes ou de leurs agents. Fermé le dimanche et les jours fériés (sauf urgence, sur autorisation épiscopale), le chantier est organisé dans les moindres détails, jusqu’à la liste des outils à utiliser. Chaque matériau digne d’intérêt enlevé au monument est étiqueté et rangé en magasin ou sur le chantier. « Toute pierre vieille portant moulure ou sculpture ne pourra être remplacée que lorsqu’elle aura été marquée par l’architecte ou ses agents. » Tous les corps de métier, du ferronnier au peintre décorateur en passant par le tailleur de pierre, interviennent sur l’édifice. Pour leurs soudures, les couvreurs travaillant sur la toiture fondent le plomb sur des « fourneaux couverts, entourés d’une chemise en tôle », accompagnés d’un seau d’eau plein.

Le Quai de Montebello et le chevet de Notre-Dame (vers 1860) d’Emile Harrouart, conservé au musée Carnavalet, Paris

Le Quai de Montebello et le chevet de Notre-Dame (vers 1860) d’Émile Harrouart, conservé au musée Carnavalet, Paris

Une restitution primordiale

Échafaudages et baraques de chantier sont installés au pied de l’édifice. Des palissades protègent les aires de travail. Des centaines de blocs de pierre sont acheminées par avance sur le site, pour éviter tout retard. Sur la façade occidentale, de mai 1845 à mars 1846, les hideux mastics posés sous la Restauration et devenus pulvérulents sont éliminés, les pierres malades sont remplacées par de nouvelles. Tous les ornements et gargouilles « rabotés » au XVIIIe siècle sont restitués selon des modèles du XIIIe. L’audacieuse imagination de Viollet-le-Duc a donné naissance à un bestiaire fantastique librement inspiré des créations médiévales. La Stryge accoudée à la balustrade de la tour nord en est un exemple fameux. La restitution des sculptures revêt une importance primordiale. Elle revient à Victor Geoffroy-Dechaume (1816-1892). Il dirige une équipe de quinze à dix-sept sculpteurs.

Gargouille de Notre-Dame de Paris. Photo ©Pixabay/Nick Stafford

Chimère de Notre-Dame de Paris. Photo ©Pixabay/Nick Stafford

Modèles médiévaux et réinterprétation

Plus de soixante-dix nouvelles statues sont mises en place, dont celles de la galerie des Rois disparues pendant la Révolution ou des ébrasements des portails. Mutilé à la demande des chanoines par Jacques-Germain Soufflot, le portail central retrouve sa forme médiévale. Les éléments anciens trop endommagés sont moulés et servent de modèles aux nouveaux. Pour les statues détruites, on cherche des modèles dans les cathédrales de Chartres, Reims ou Amiens, comme le « beau Dieu » d’Amiens, qui sert de modèle au Christ lequel accueille les fidèles au trumeau du portail central de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris. La restauration se poursuit par les façades latérales et le chevet. Les arcs-boutants sont restaurés et sommés de pinacles ornés, la rose du transept sud démontée, reconstruite et pivotée d’un quart de pétale.

Maquette de la flèche de Notre-Dame de Paris présentée lors de l'exposition © Anne-Sophie Lesage Münch / Connaissance des Arts.  

Maquette de la flèche de Notre-Dame de Paris présentée lors de l’exposition © Anne-Sophie Lesage Münch / Connaissance des Arts.

Le chantier de la flèche est lancé en février 1859. Après un premier projet de restitution fidèle aux dimensions de la flèche médiévale, connue par des documents anciens, Viollet-le-Duc imagine une flèche plus monumentale, qui nécessite des travaux de renfort des maçonneries de la croisée du transept. « Plus haute, celle-ci doit marquer la silhouette de la cathédrale restaurée dans un espace urbain largement transformé par Haussmann. » Recouverte de plomb, son extraordinaire charpente est exécutée en bois de chêne par l’entrepreneur de charpente Auguste Bellu. Viollet-le-Duc y fait installer douze statues représentant les apôtres, dont un saint Thomas à qui l’architecte prête ses traits, et quatre statues symbolisant les Évangélistes.

, Notre-Dame de Paris, 1844-1864 : le colossal chantier qui a métamorphosé la cathédrale

Séeberger Frères, Apôtre de la flèche de Notre-Dame : Saint Thomas sous les traits de Viollet-le-Duc, 1ère moitiée du XXe siècle © Anne-Sophie Lesage Münch / Connaissance des Arts.

Eugène Viollet-le-Duc Né à Paris dans un milieu cultivé, Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) se forme « sur le tas » auprès des architectes Jean-Jacques-Marie Huvé (1783-1852) et Achille-François- René Leclère (1785-1853), prix de Rome d’architecture en 1808, puis par des périples archéologiques à travers la France et l’Italie. Repéré par Prosper Mérimée, alors inspecteur général des Monuments historiques, il se voit confier d’importants chantiers de restauration, de l’église de Vézelay à Notre-Dame de Paris et la basilique de Saint-Denis. Pour Napoléon III, il relèvera le château de Pierrefonds de ses ruines. Son immense connaissance du Moyen Âge alimente ses « Dictionnaires raisonnés » de l’architecture et du mobilier. Brillant dessinateur, théoricien du rationalisme et de l’emploi du métal en architecture, il influencera Hector Guimard avant d’être souvent contesté, durant une bonne partie du xxe siècle, en raison de son approche de la restauration jugée trop radicale par certains. Le centenaire de sa mort, en 1979-1980, voit sa réhabilitation. Il est alors célébré par une multitude d’événements dont une grande exposition au Grand Palais.

Un chantier de vingt ans

À l’intérieur de l’édifice, des lavages et des brossages viennent à bout du badigeon de chaux qui recouvrait les élévations et les voûtes. Proscrits, les racloirs de métal sont remplacés par des outils en bois. Oubliant la promesse de respecter « toutes les additions postérieures à la construction primitive », Viollet-le-Duc, seul architecte depuis la mort de Lassus en 1857, détruit le choeur plaqué de marbre de Robert de Cotte mais les sculptures en marbre et en bronze du Voeu de Louis XIII sont conservées à leur place ainsi que les stalles en bois sculpté. Les arcs gothiques du rond-point sont rétablis, l’autel et les grilles du choeur sont remplacés par des créations d’inspiration gothique. Excédant la simple restauration, les interventions hardies destinées à rendre au monument l’aspect qu’il aurait dû avoir, d’après les observations nourries que l’architecte en fait, si ses bâtisseurs étaient allés au terme de leurs intentions, suscitent des critiques qui remontent jusqu’à Napoléon III. Dans une lettre à l’architecte, Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, écrit : « Ce soir je suis allé à St Cloud, où l’Empereur m’a dit en riant : Il paraît que Viollet-le-Duc et vous, vous allez détruire Notre-Dame. Je l’ai assuré que nous en laisserions quelque chose. »

Les sculptures du Vœu de Louis XIII à Notre-Dame de Paris © Flickr - Marie Thérèse Hébert & Jean Robert Thibault

Les sculptures du Vœu de Louis XIII à Notre-Dame de Paris © Flickr – Marie Thérèse Hébert & Jean Robert Thibault

Grâce aux fonds réunis par l’abbé de la Place, archiprêtre de la cathédrale, les chapelles sont ornées de peintures d’inspiration médiévale et reçoivent de nouveaux autels, l’État finançant les échafaudages et la préparation des murs. Dans une subtile recherche d’harmonie lumineuse, les chapelles du sud sont peintes de couleurs chaudes, celles du nord de couleurs froides. À l’exception des vitraux, l’architecte dessine tout, mobilier, somptueux reliquaires du Trésor de la cathédrale, qui est alors reconstitué, et jusqu’ aux moindres vis des ferronneries. Le 31 mai 1864, la dédicace de la cathédrale est célébrée par Mgr Darboy, archevêque de Paris. La restauration complète aura coûté 8,6 millions de francs, une somme considérable pour l’époque. À l’issue de ce chantier de vingt ans, la cathédrale resplendit, rendue à une cohérence stylistique… qu’elle n’a jamais eue ! Au point que « l’aphorisme qui veut que l’édifice soit pour l’essentiel du XIXe siècle semble bien revêtir, à première vue, une bonne part de vérité ». En réalité, la cathédrale n’en reste pas moins un édifice gothique, dans sa structure constructive comme dans son riche décor sculpté du XIIIe siècle qui orne encore la totalité des voussures des portails et certaines parties hautes de l’édifice.


La chronique a été générée aussi sérieusement que possible. Dans la mesure où vous désirez mettre à disposition des renseignements supplémentaires à cet article sur le sujet « Découverte de paris » vous pouvez utiliser les contacts affichés sur notre site web. Le but de aquarelleparis.fr est de débattre de Découverte de paris dans la transparence en vous donnant la visibilité de tout ce qui est mis en ligne sur ce thème sur le net Cet article, qui traite du thème « Découverte de paris », vous est volontairement proposé par aquarelleparis.fr. Connectez-vous sur notre site internet aquarelleparis.fr et nos réseaux sociaux pour être informé des prochaines publications.