On l’avait oublié, mais les découvertes récentes sont venues rappeler l’existence du jubé de Notre-Dame de Paris. Aujourd’hui disparu de la plupart des églises, le jubé prenait la forme d’un mur fermant le chœur entre les deux piliers orientaux à la croisée du transept. Cet aménagement répondait à des considérations liturgiques, spirituelles et pratiques inséparables et trouvait sa source dans la réforme grégorienne au XIe siècle.
Hiérarchiser l’espace liturgique
« C’est un moment, explique Mathieu Lours, historien de l’architecture, où les penseurs de l’Église décident d’accorder davantage d’importance aux fidèles dans les lieux de culte, de les accueillir plus largement dans les abbatiales et dans les cathédrales, et, pour ces dernières, de réunir les chanoines et les évêques dans une même église. On se trouve alors face à un dilemme : comment concilier la tranquillité de la prière pour ces “professionnels de la liturgie” avec la présence des fidèles ? La réponse sera différente selon les espaces de la Chrétienté. En Italie et en Allemagne, on surélève le chœur ; en France, on développe la fonction de l’ambon, c’est-à-dire des deux pupitres destinés à proclamer l’Évangile et l’Épître, les deux grandes lectures de la liturgie. À une date située sans doute autour du XIIe siècle, les ambons gagnent en hauteur et sont reliés par une sorte de mur avec une porte au centre : c’est ce qu’on appelle un jubé. Celui-ci est à la fois un mur de clôture, un seuil et une tribune. Puis, les autres côtés du chœur sont clos par une paroi. Dès lors, les fidèles ne voient plus le chœur où ont lieu les offices, ni le sanctuaire où se déroulent les messes solennelles. » Véritable façade intérieure, cet élément d’architecture joue un rôle essentiel dans la hiérarchisation de l’espace. Il tient son nom des premiers mots de la prière « Jube domine benedicere » (« Daigne, Seigneur, bénir »), prononcée avant la lecture de l’Évangile.
À Notre-Dame, aucune archive ne documente la construction du jubé. Néanmoins, les fragments de ce jubé découverts au XIXe siècle sous le transept suggèrent une date entre 1230 et 1250, dans le sillage de l’achèvement du gros œuvre. L’édification d’une clôture autour des autres côtés du chœur commence, elle, à la fin du XIIIe siècle. Les circonstances de ce chantier sont mieux connues, grâce à une inscription sur la tombe de l’évêque Simon Matifas de Buci (mort en 1296) et à une mention dans le cartulaire, le registre qui contient les titres de propriété et les privilèges de la cathédrale. Entrepris par Pierre de Chelles, ils sont poursuivis par Jean Ravy, puis achevés en 1351 par le neveu de ce dernier, Jehan Le Bouteiller. Ce chantier est financé par des dons des évêques (Renaud de Corbeil et Simon Matifas) ou de chanoines (Gilbert de Saana et Pierre de Fayel). Et c’est sans doute l’une des premières clôtures introduites dans les grandes cathédrales françaises.
Un mur d’images
« Pour compenser la césure visuelle ainsi créée, le jubé et la clôture de chœur se transforment en un mur d’images, souligne Mathieu Lours. Un calvaire est généralement placé au-dessus de la porte et des scènes de la Passion du Christ sur le jubé pour rappeler la dimension eucharistique des cérémonies qui se déroulent derrière. » Du nord au sud, un cycle narrant l’histoire du Christ se déployait sur l’ensemble de la clôture, de l’Annonciation aux apparitions postérieures à la Résurrection. Dans ce décor sculpté, on pouvait déceler un jeu de correspondances entre certaines scènes figurées et les rituels accomplis de l’autre côté de la barrière par les clercs.
Par exemple, la Présentation au Temple, au cours de laquelle Siméon tient Jésus dans ses bras, annonce le prêtre contemporain recevant symboliquement le Christ dans ses mains par l’intermédiaire de l’hostie. La Cène renvoie, elle, à l’Eucharistie. Un fragment, exhumé lors des travaux de Viollet-le-Duc au XIXe siècle et conservé au Louvre, se rapporte vraisemblablement à l’une des scènes ornant le jubé, en l’occurrence la Descente aux Limbes. Y figure un chaudron d’où s’échappent des flammes à travers lesquelles apparaissent deux masques grimaçants, tandis qu’à gauche, un homme et une femme semblent émerger d’un nuage de vapeur. Quatre autres fragments de torses conservés au Louvre pourraient également provenir de cette paroi orientale du chœur.
Derrière le maître-autel, la clôture arborait une physionomie différente. Elle était à claire-voie pour que les personnes puissent, pendant la messe, entrevoir les reliques. Quant au décor sculpté, il se composait de scènes historiées, insérées dans des médaillons polylobés, selon un modèle courant au début du XIVe siècle. Celles-ci contaient les souffrances de Joseph, qui annonçaient celles du Christ au cours de la Passion. Selon une approche dite typologique, la Bastonnade du patriarche, par exemple, préfigure la Flagellation. Un de ces médaillons, aujourd’hui aussi au Louvre, avait été découvert au XIXe siècle. Au même moment avait été mis au jour un portrait sculpté du chanoine Pierre de Fayel (mort en 1344), neveu de Simon Matifas de Buci, provenant de cette clôture occidentale. Le prélat est figuré à genoux en prière, sous une arcade et un blason, tandis qu’une inscription (épitaphe) rappelle ses dons pour la réalisation de ce décor sculpté, mais aussi de verrières. Cette sculpture placée sur la face extérieure de la clôture, au-dessus des médaillons sculptés, était l’œuvre de Jean Ravy, qui, lui-même, s’est représenté sur cette clôture dans une posture semblable, si l’on en croit un dessin réalisé pour François-Roger de Gaignières au XVIIe siècle. On tient là l’un des premiers exemples du renouveau de l’art du portrait, qui s’esquisse en ce milieu du XIVe siècle.
Inspiration baroque
En dépit des bouleversements que connaît l’Église dans le sillage de la Contre-Réforme, la liturgie et donc la disposition spatiale lui correspondant restent inchangées à Notre-Dame. Le jubé subit toutefois de sérieuses altérations. Au XVIIe siècle, dans le prolongement de la chapelle de la Vierge offerte par Anne d’Autriche (1628), il est couvert par un nouveau décor en bois d’inspiration baroque. Sur un dessin exécuté en 1699 dans l’atelier de Jules Hardouin-Mansart, on voit encore le gâble central du jubé gothique faisant saillie au-dessus. Puis, au XVIIIe, le jubé est éventré en son centre par Robert de Cotte pour laisser place à une belle grille en fer forgé, tandis que les portions restantes sont habillées par deux autels symétriques, consacrés respectivement à la Vierge (à droite) et à saint Sébastien (à gauche), comme le montre la gravure de Pierre Aveline en 1720.
Enfin, la Révolution française porte un coup fatal au jubé. En 1792, alors que Notre-Dame est devenue simple paroisse épiscopale, il est démantelé. Avec les fouilles entreprises en 2022 à la croisée du transept, des fragments du jubé médiéval ont été découverts, remettant en cause, au moins en partie, le fait qu’il aurait été entièrement dispersé. Leur étude permettra d’en préciser les dates tant dans sa construction que dans sa destruction.
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