Les vitraux maudits de Notre-Dame de Paris

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Même post-mortem, Eugène Viollet-Le-Duc suscite la controverse. C’est du moins ce que révèle l’exposition « Notre-Dame de Paris : la querelle des vitraux (1935-1965) », présentée à la Cité du vitrail de Troyes (du 22 juin au 5 janvier 2025), qui préfigure la réouverture du sanctuaire le 8 décembre prochain. Celle-ci met en lumière un ensemble de vitraux oubliés, conçus pour l’Exposition universelle de Paris de 1937, redécouverts en 2019 dans l’arrière tribune sud de la nef de la cathédrale. Ces prototypes d’exposition ont été imaginés par douze maîtres-verriers pour remplacer des grisailles de Viollet-le-Duc.

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Une création évènementielle

Le maître d’œuvre de cette commande est Louis Barillet, figure emblématique de l’Art déco, qui, dès 1934, travaille avec onze autres maîtres-verriers (Jacques Le Chevallier, Valentine Reyre, Jean Hébert-Stevens, Louis Mazetier, Jacques Gruber, Le père Marie-Alain Couturier, André Rinuy, Max Ingrand, Joseph-Jean-Kef Ray, Jean Gaudin et Paul Louzier) à la réalisation d’une série de vitraux pour le Pavillon pontifical de l’Exposition universelle de Paris de 1937.

Jacques Gruber dans son atelier parisien, villa d’Alésia, 1923

Jacques Gruber dans son atelier parisien, villa d’Alésia, 1923

Une vitrine des arts du verre que Louis Barillet cherche néanmoins à pérenniser, puisque ces vitraux d’exposition ne peuvent être vendus. En 1935, alors que les baies mises en place à Notre-Dame par Viollet-le-Duc sont jugées trop ternes, il propose à la Commission des monuments historiques (CMH) de les remplacer par de nouveaux vitraux, moins démodés, et plus conformes à la polychromie médiévale. La CMH donne son feu vert à cette initiative sans pour autant l’officialiser.

Vue de l'exposition « Notre Dame de Paris. La querelle des vitraux » à la Cité du Vitrail à Troyes, 2024 © Département de l'Aube - C. Péchiné

Vue de l’exposition « Notre Dame de Paris. La querelle des vitraux » à la Cité du Vitrail à Troyes, 2024 © Département de l’Aube – C. Péchiné

Retour à la case départ

Le Pavillon pontifical, devenu en 1938 le Pavillon Marial pour le 300e anniversaire du vœu de Louis XIII, est exceptionnellement conservé en l’état à la suite de l’Exposition universelle. Et ce n’est qu’à la fin de l’année 1938 que les nouveaux vitraux sont enfin accrochés, à l’essai, dans la nef de Notre-Dame de Paris. S’ensuit une polémique enflammée qui donne aujourd’hui son titre à l’exposition de Troyes.

Valentine Reyre, Carton pour une lancette : sainte Foy de Conques, Crayon et fusain sur calque, vers 1935-1939, Fonds Valentine Reyre © Studio OG et Lancette : sainte Foy de Conques, vitrail réalisé pour Notre-Dame de Paris, 1937, classé au titre des Monuments historiques, Troyes, Cité du Vitrail, Dépôt de la DRAC Île-de-France © Flavie Serrière Vincent-Petit

Valentine Reyre, Carton pour une lancette : sainte Foy de Conques, Crayon et fusain sur calque, vers 1935-1939, Fonds Valentine Reyre © Studio OG et Lancette : sainte Foy de Conques, vitrail réalisé pour Notre-Dame de Paris, 1937, classé au titre des Monuments historiques, Troyes, Cité du Vitrail, Dépôt de la DRAC Île-de-France © Flavie Serrière Vincent-Petit

En 1939, par mesure de précaution, l’atelier de Louis Barillet dépose les vitraux d’exposition, tandis que ceux de Viollet-le-Duc reprennent leur place initiale. Les verrières contemporaines sont rangées dans des caisses en bois remplies de paille : sept d’entre elles sont récupérés par leurs auteurs, cinq seront définitivement perdues. Puis en avril 2019, au lendemain de l’incendie de Notre-Dame Paris, les vitraux rescapés font l’objet d’un constat sanitaire avant de revenir sur les devants de la scène.

Jacques Le Chevallier, Esquisse pour une verrière : saint Marcel, sainte Geneviève et rose du Credo, gouache sur papier, entre 1956-1958, Troyes Archives départementales de l'Aube © Archives départementales de l'Aube / Elsa Viollet

Jacques Le Chevallier, Esquisse pour une verrière : saint Marcel, sainte Geneviève et rose du Credo, gouache sur papier, entre 1956-1958, Troyes Archives départementales de l’Aube © Archives départementales de l’Aube / Elsa Viollet

Un panorama hétérogène

C’est ainsi que le puzzle de ce vaste projet peut aujourd’hui être reconstitué dans l’ancienne chapelle de l’Hôtel-Dieu-Le-Comte, fief de l’actuelle Cité du vitrail. On y découvre un oculus (verrière décorative de forme ronde) conçu par Viollet-le-Duc, deux Roses du Credo d’André Rinuy et Jacques Le Chevallier, la baie complète de Jean-Hébert-Stevens représentant sainte Radegonde et saint Martin de Tours, des lancettes dédiées à saint Louis et saint Yves, réalisées par André Rinuy, et celle dédiée à sainte Foy que Valentine Reyre, la seule maître-verrier de l’équipe, a conçue en 1935. Mais la pièce incontournable de l’exposition est sans nul doute la verrière de Jacques Le Chevallier, présentée dans une armature sur mesure au centre de la chapelle, la seule œuvre finalisée par son auteur.

Vue de l'exposition « Notre Dame de Paris. La querelle des vitraux » à la Cité du Vitrail à Troyes, 2024 © Département de l'Aube - C. Péchiné

Vue de l’exposition « Notre Dame de Paris. La querelle des vitraux » à la Cité du Vitrail à Troyes, 2024 © Département de l’Aube – C. Péchiné

Une restauration au cas par cas

« Ces vitraux, explique Nicolas Dohrmann, conservateur général du patrimoine, ont nécessité une restauration spéciale puisqu’ils n’avaient pas été cuits. Leur couche de peinture crue était très instable. Les restaurateurs ont donc dû procéder exceptionnellement à une cuisson afin de préserver la proposition des artistes. »  Les ateliers MurAnése, Claire Babet, Belisama, Vitrail France et la manufacture Vincent-Petit ont ainsi assuré les opérations de dessertissage, de nettoyage, de cuisson, de réparation et de remplacement des verres brisés ou manquants.

Restauration de la rose du Credo de Jean Hébert-Stevens par l'atelier Vitrail-France avril 2024 © Département de l'Aube - Corentin Péchiné

Restauration de la rose du Credo de Jean Hébert-Stevens par l’atelier Vitrail-France, avril 2024 © Département de l’Aube – Corentin Péchiné

Véritable gageure sur le plan technique, l’opération a également permis de mettre en lumière la variété des processus de création de chaque vitrail. Du choix du verre à l’application de la grisaille, chaque maître-verrier semble en effet avoir œuvré indépendamment, sans trop se préoccuper des consignes de la Commission et du style de ses coéquipiers. Cette diversité des styles et des techniques explique sans doute en partie les critiques de l’époque et a, de plus, compliqué la tâche des restaurateurs.

Les « pour » et les « contre », hier comme aujourd’hui

Outre les maquettes et les esquisses, le visiteur de l’exposition de Troyes découvrira des documents d’archives qui témoignent de la virulence des débats de l’époque. On peut notamment y lire l’enthousiasme d’un Maurice Denis ou les réticences du journaliste Achille Carlier qui compare l’ensemble à une « effrayante cacophonie menée par un chef d’orchestre parfaitement ivre ». « L’exposition soulève la question un peu particulière d’insertion d’œuvres contemporaines dans un édifice ancien et religieux. Si ce sont plutôt les circonstances historiques qui ont mis un terme à ce projet, la problématique demeure… », souligne Julia Boyon, adjointe scientifique à la Cité du vitrail.

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Jeux de lumière à travers les arcs romans de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques © Bernard Ladoux

Ce débat n’est évidemment pas sans rappeler celui qui entoure actuellement le projet de création de six vitraux contemporains, en replacement de ceux de Viollet-le-Duc, dans six des sept chapelles du bas-côté sud de Notre-Dame de Paris. Souhaitée par l’archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, cette commande publique a été officiellement lancée par le président de la République Emmanuel Macron lors de sa venue sur le chantier de la cathédrale le 8 décembre 2023. Dirigée par Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, la commission artistique chargée d’encadrer la procédure a reçu 110 dossiers de candidature, parmi lesquels ceux de Pascal Convert, Daniel Buren, Robert Combas, Hervé di Rosa, Yan Pei-Ming, Laure Prouvost, Jaume Plensa, Claire Tabouret ou encore Barthélémy Togo.

Vitraux de Marc Chagall (1974) de la cathédrale de Reims dans une chapelle de l'abside. Photo Flickr/Jean-Pierre Dalbéra

Vitraux de Marc Chagall (1974) de la cathédrale de Reims dans une chapelle de l’abside. Photo Flickr/Jean-Pierre Dalbéra

Le nom des 7 finalistes devrait bientôt être révélé. Dans le même temps, au lendemain de l’annonce du président de la République, le journal «La Tribune de l’Art » lançait une pétition en ligne pour la sauvegarde des vitraux de la cathédrale. Elle a recueilli à ce jour près de 142 000 signatures. Enfin, le 11 juillet dernier, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture a quant à elle rejeté à l’unanimité le projet, entraînant dans le même temps de retrait de la candidature de Pascal Convert qui considère que « les artistes sont là pour porter l’enthousiasme de la résurrection de Notre-Dame et non supporter des querelles ».

Exposition « Notre Dame de Paris – la querelle des vitraux »
Cité du Vitrail, Hôtel-Dieu-le-Comte, 31, quai des Comtes de Champagne, 1000 Troyes
Du 22 juin au 5 janvier 2025


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