La Sainte-Chapelle de Paris, un éblouissant livre de lumière : histoire et secrets de ses vitraux

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À chaque fois, le miracle se renouvelle : après avoir gravi un sombre escalier en vis, le visiteur qui pénètre dans la chapelle haute de la Sainte-Chapelle de Paris est ébloui par le scintillement multicolore des verrières, quelle que soit l’intensité lumineuse extérieure. Louis IX (1214-1270), le roi fondateur, devait sans doute ressentir pareil éblouissement lorsque, passant de son palais à la chapelle, il entrait par la grande porte de la façade occidentale, sous la rose. Au XIIIe siècle, l’édifice comportait un important mobilier.

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Une atmosphère proche de l’époque médiévale

Aujourd’hui, l’impact des vitraux est d’autant plus fort que la chapelle est vide, à l’exception de la tribune des reliques au fond du chœur. Une très importante restauration, menée au milieu du XIXe siècle sous la direction de l’architecte des Monuments historiques Jean-Baptiste Lassus, a donné à la chapelle haute l’aspect que nous lui connaissons actuellement. La polychromie restituée sur les voûtes, les murs et le décor sculpté, associée à la lumière colorée des vitraux, recrée une atmosphère proche de celle de l’époque médiévale.

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Sainte-Chapelle © Didier Plowy-CMN

Avant cette restauration, les verrières portaient la trace des multiples interventions qui avaient, dans bien des cas, altéré leur style. Les relevés des 1 113 panneaux historiés, exécutés à l’échelle un sous la direction de Louis Steinheil entre 1845 et 1852, en ont conservé le souvenir. Le réseau de pierre et les vitraux de la rose occidentale avaient ainsi été entièrement recomposés à la fin du XVe siècle. Un dommage plus grave était survenu en 1802-1803, lorsque la chapelle avait été transformée en dépôt d’archives du Palais de justice : des panneaux furent supprimés à la base de toutes les fenêtres sur une hauteur d’environ un mètre cinquante pour permettre l’installation de grandes armoires.

Des travaux colossaux

La remise en état de la vitrerie imposait à Jean-Baptiste Lassus et à ses collaborateurs de faire des choix en matière de style et d’iconographie. Il fut décidé de rétablir, dans le style du XIIIe siècle, les scènes jugées trop défigurées. Au total, les deux tiers environ des panneaux sont d’origine. Le problème posé par la cohérence iconographique était plus délicat à résoudre. En effet, les déplacements et la disparition de plusieurs dizaines de panneaux avaient considérablement modifié l’enchaînement des histoires représentées et rendaient très difficile une lecture générale du programme vitré. C’est à l’archéologue Ferdinand de Guilhermy que revient l’immense mérite d’avoir proposé la première interprétation globale de la vitrerie, ce qui a orienté la réorganisation de toutes les verrières. Ce travail remarquable fut achevé vers 1855 et n’a pas subi de modification sensible depuis.

Trois scènes de couronnement de princes des tribus d’Israël, détail de la verrière des Nombres, ©Patrick Cadet/CMN

Trois scènes de couronnement de princes des tribus d’Israël, détail de la verrière des Nombres, ©Patrick Cadet/CMN

La chapelle haute a ainsi retrouvé l’apparence d’un immense reliquaire de verre où la part de l’architecture est réduite aux piles composées qui soutiennent la voûte et à une assise maçonnée doublée par une arcature aveugle servant d’appui aux baies. La nef de quatre travées est éclairée par huit grandes fenêtres à quatre lancettes, surmontées d’un réseau ajouré par des trilobes et des roses polylobées. Le chœur comprend sept baies à deux lancettes au réseau moins développé. Chaque verrière se compose d’une suite de panneaux qui se lisent généralement de bas en haut par registres horizontaux. Le mode de composition suit le modèle mis au point, au début du XIIIe siècle, pour les verrières des parties basses des grandes cathédrales gothiques. À la Sainte-Chapelle, le système trouve ses limites dans la hauteur des baies qui complique la lecture.

Des symboles et des couleurs

Les scènes sont inscrites dans des panneaux dont les différentes formes, généralement soulignées par la ferrure – cercles, carrés posés sur la pointe, quadrilobes, carrés quadrilobés, panneaux en amande, etc. –, sont placées sur un fond à décor géométrique. Chaque lancette est séparée des meneaux ou de l’ébrasement par une mince bordure. Ces parties décoratives, plus ou moins développées d’une verrière à l’autre, ont un rôle déterminant dans la perception des couleurs. L’accord rouge-bleu, auquel il est souvent fait référence pour désigner le vitrail de cette époque, est contrebalancé ici par un accord jaune-rouge. Cette variante est liée à la place accordée à l’héraldique. L’usage des armoiries, introduit dans l’art monumental à partir du début du XIIIe siècle, trouvait sa pleine justification dans la chapelle royale. L’azur semé de fleurs de lys d’or du blason royal y est accompagné du gueules (rouge) au château de Castille d’or de la reine mère Blanche de Castille ; ce sont ces armoiries qui contribuent à donner la dominante rouge-jaune. En revanche, celles de l’épouse de saint Louis, la reine Marguerite de Provence, sont absentes des vitraux de la chapelle haute.

Jésus et les disciples d’Emmaüs, ©Benjamin Gavaudo/CMN

Jésus et les disciples d’Emmaüs ©Benjamin Gavaudo/CMN

Le message du fondateur

Les vitraux ne participent pas seulement à la qualité esthétique du lieu. Dans l’état actuel du monument, ils nous permettent d’entrevoir le message laissé par Louis IX. Deux programmes complémentaires sont répartis entre l’abside et la nef. Le premier, à caractère prophétique et néotestamentaire, occupe six des sept fenêtres à deux lancettes qui éclairent le chœur. L’autel y est surmonté de la tribune qui abritait la grande châsse des reliques. Celle-ci contenait en particulier la couronne d’épines du Christ qui avait fait du Sauveur ce roi de douleur glorifié par Jean dans son Évangile (chap. 19, versets 2-3) – une relique justifiant la représentation de la Passion dans la verrière d’axe. Les épisodes principaux sont inscrits dans des panneaux carrés formant des registres bien lisibles, séparés par des panneaux en quart de cercle associés quatre par quatre pour dessiner de grands quadrilobes. Dans la partie supérieure, l’épisode des Pèlerins d’Emmaüs selon l’Évangile de Luc (chap. 24, versets 13-32) est illustré par deux carrés : à gauche, les pèlerins en marche vers Emmaüs en compagnie du Christ qu’ils n’ont pas reconnu ; à droite, le repas avec le Christ, assis entre les deux pèlerins. La composition de cette scène est remarquable : une nuée blanche entoure le Christ, sur fond rouge, l’isolant des pèlerins placés sur un fond bleu. Grâce à cet artifice de mise en scène, l’artiste-artisan a matérialisé la différence de nature entre le Christ et ses commensaux.

Jésus reconnu à la fraction du pain, ©Benjamin Gavaudo/CMN

Jésus reconnu à la fraction du pain ©Benjamin Gavaudo/CMN

La verrière située à gauche de l’axe présente des scènes de l’Enfance du Christ (lancette droite) et de la vie de Jean l’Évangéliste (lancette gauche). Cette dernière se rattache au cycle prophétique : Jean figure en effet ici en tant que rédacteur de l’Apocalypse, représentée à l’opposé du chœur, dans la grande rose occidentale. En pendant, à droite de l’axe, se trouve Jean Baptiste. Annonçant le sacrifice du Christ, Agneau de Dieu, il clôt la longue lignée des prophètes de l’Ancien Testament. Quatre d’entre eux sont représentés dans cette abside : Isaïe, Daniel, Jérémie et Ézéchiel.

Un style « Sainte-Chapelle » ? La réalisation de cet ensemble apparaît comme un tour de force : 826 mètres carrés de verres ont été mis en œuvre en un temps très court, entre 1242 environ et 1248, date de la consécration. Des recherches récentes ont montré que les verres avaient été produits en Île-de-France, en utilisant deux recettes. Quant à la peinture des verres, plusieurs ateliers s’y sont employés. Un atelier principal a produit un style « Sainte-Chapelle » identifié par un type de personnage aux proportions assez élancées, avec une tête plutôt ronde au menton effacé, souvent présentée de trois-quarts ; il est enveloppé dans un manteau soulignant sa silhouette sans l’amplifier, qu’il retient d’une main par un geste maintes fois répété. Parmi les accessoires fréquemment utilisés, on note un type d’arbre dont les feuilles ressemblent à celles d’un artichaut. Ce style a inspiré d’autres cycles vitrés à Soissons, à Saint-Julien-du-Sault, au Mans, à Clermont-Ferrand. La verrière de Judith montre un style moins stéréotypé, qui annonce l’avenir. Il se manifeste surtout dans le traitement des drapés, avec des plis plus amples, formant des becs débordants, comparables à ce qui se remarque dans la sculpture contemporaine – et, à la Sainte-Chapelle elle-même, sur certains apôtres, comme Saint Jacques le Majeur. Le chantier du monument a eu des répercussions certaines sur l’art du XIIIe siècle, bien au-delà du vitrail.

L’ensemble de la deuxième fenêtre à gauche de l’axe est dédié à Isaïe. La lancette gauche montre des épisodes de sa vie, en particulier son martyre : enfermé dans le tronc d’un arbre, il est scié en deux par ses bourreaux. La lancette droite illustre sa prophétie la plus célèbre, l’Arbre de Jessé, qui annonce la venue du Christ. Du corps du patriarche endormi à la base de la verrière (panneau moderne), s’élève le tronc d’un arbre dont les rameaux abritent des rois assis les uns au-dessus des autres, encadrés à chaque registre par des prophètes debout. Dans les deux compartiments du haut, on reconnaît la Vierge, instrument de l’Incarnation, et, au-dessus d’elle, le Christ surmonté par des colombes représentant les dons du Saint-Esprit.

Le supplice d’Isaïe, scié vif dans le creux d’un cèdre, détail de la verrière d’Isaïe, ©Patrick Cadet/CMN

Le supplice d’Isaïe, scié vif dans le creux d’un cèdre, détail de la verrière d’Isaïe, ©Patrick Cadet/CMN

Dans cette prophétie d’Isaïe, souvent commentée, le Moyen Âge voyait une représentation de la généalogie des rois de France : l’onction sacrée faisait de ces derniers les successeurs des souverains d’Israël. L’abbé Suger de Saint-Denis avait choisi ce thème pour une verrière du déambulatoire de l’abbaye royale (1140-1144), et sa composition sera reprise à la Sainte-Chapelle. Cette image hautement symbolique fait le lien avec le programme à caractère historique lié à la royauté. Le programme se développe, après un léger empiétement sur l’abside, dans la totalité de la nef, réservée au roi et à sa famille. Le but de ce long récit était précisément de montrer la place qu’occupait le roi de France, oint et sacré, dans l’économie générale du monde tel qu’un chrétien devait se le représenter au XIIIe siècle. Démonstration est faite à travers l’histoire de l’humanité, du Pentateuque (les cinq premiers livres de l’Ancien Testament) à l’Apocalypse qui clôt le Nouveau Testament.

Le programme royal de la nef

Le récit débute sur le côté nord, près de la façade, et se poursuit vers l’est. La première fenêtre (très restaurée) raconte la Genèse avec la création du monde, et la baie voisine, l’Exode : les Hébreux, exilés en Égypte, sont conduits vers la terre promise par Moïse, qui apparaît dans un grand nombre d’épisodes – il est identifié par les cornes marquant son front, considérées comme une habile transcription des rayons lumineux qui entouraient son visage après sa rencontre avec Dieu au Sinaï.

Vue partielle de la baie de la passion depuis la tribune des reliques, ©Pascal Lemaître/CMN

Vue partielle de la baie de la Passion depuis la tribune des reliques, ©Pascal Lemaître/CMN

La troisième verrière, consacrée au Livre des Nombres, marque un moment charnière dans l’histoire du peuple hébreu, car le dénombrement des tribus d’Israël et de Juda est considéré comme préparatoire à l’institution de la royauté : la scène de couronnement est d’ailleurs représentée une vingtaine de fois, suivant trois cartons différents, à la base de la fenêtre. Preuve que le Livre des Nombres revêtait une importance particulière en ce lieu, cette verrière se trouve au-dessus de la niche où Louis IX prenait place lorsqu’il assistait aux offices, lui, le lointain héritier de ces premiers rois. La dernière baie du côté nord se partage entre le Deutéronome, livre normatif a priori peu propice à la mise en images, et l’histoire de Josué. Avec la première baie du chœur au nord consacrée aux Juges, c’est encore l’idée royale qui prévaut. Après l’interruption du rond-point du chœur, le programme « royal » reprend sur le côté sud avec, à la suite de Jérémie, une lancette consacrée à l’histoire de Tobie, fils modèle dont s’inspira saint Louis. Les deux verrières suivantes, dans la nef, illustrent les histoires de Judith et d’Esther, deux femmes au destin exemplaire. Celle d’Esther, installée au-dessus de la niche où prenaient place les reines – l’épouse Marguerite de Provence et la mère Blanche de Castille –, constitue sans doute un hommage à cette dernière, sur le point d’assurer la régence du royaume pour la deuxième fois. Le récit historique à proprement parler réapparaît dans la troisième fenêtre avec un long développement (cent vingt et une scènes) sur le Livre des Rois, où est exaltée l’institution royale à travers Saül et surtout ses successeurs, David et Salomon.

La fuite en Egypte, détail de la verrière retraçant l’Enfance du Christ, ©Benjamin Gavaudo/CMN

La fuite en Egypte, détail de la verrière retraçant l’Enfance du Christ, ©Benjamin Gavaudo/CMN

La dernière verrière, proche de la façade ouest, souvent désignée comme la « verrière des reliques », illustre dans le détail l’achat de la couronne d’épines du Christ et d’un insigne fragment de la vraie croix par Louis IX. En accomplissant ce geste d’une portée à la fois politique et spirituelle, le futur saint Louis se plaçait dans la lignée de ses prédécesseurs, et c’est bien ainsi qu’il se mettait en scène dans la suite des rois de l’Ancien Testament et avant l’Apocalypse figurée dans la grande rose.

La rose de l’Apocalypse

Son style de la fin du XVe siècle, qui contraste avec celui de la vitrerie du XIIIe siècle, fait que celle-ci ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite. Conduire son peuple vers la fin des temps, n’est-ce pas pourtant l’ultime mission du roi chrétien ? Et la rose n’en est-elle pas la parfaite démonstration ? Autour de 1485, le pignon menaçait ruine. Aussi le roi Charles VIII ordonna-t-il aux chanoines de se préoccuper de reconstruire la rose avec ses vitraux – ce qui était conforme aux prescriptions émises par Louis IX, fondateur de la Sainte-Chapelle.

La rose de l’Apocalypse, sur la façade occidentale de la Sainte-Chapelle de Paris © Benjamin Gavaudo/CMN

La rose de l’Apocalypse, sur la façade occidentale de la Sainte-Chapelle de Paris © Benjamin Gavaudo/CMN

Avec une audace que nos restaurateurs ont perdue, la rose rayonnante du XIIIe siècle céda la place à un chef-d’œuvre flamboyant. Cependant le thème initial fut repris, l’Apocalypse de Jean constituant le point d’orgue du programme vitré de la chapelle haute. La lecture commence par l’oculus central et se développe, en suivant le sens des aiguilles d’une montre, dans un premier cercle formé de six fuseaux, puis dans un grand cercle qui en compte douze. Cet ensemble est exceptionnel à la fois par la qualité du carton, attribué au Maître des Très Petites Heures d’Anne de Bretagne – peut-être Jean d’Ypres – et par sa réalisation technique. La peinture est particulièrement soignée et l’utilisation de verres plaqués (rouges, verts, bleus et violets) a permis de multiplier les détails gravés. Le raffinement de cette grande rose en fait un des chefs-d’œuvre du vitrail gothique.

Le transport des reliques à Paris par Louis IX et Robert d’Artois (XIXe siècle), détail de la baie de l’Histoire des reliques de la Passion, Sainte-Chapelle de Paris

Le transport des reliques à Paris par Louis IX et Robert d’Artois (XIXe siècle), détail de la baie de l’Histoire des reliques de la Passion, Sainte-Chapelle de Paris © Benjamin Gavaudo/CMN

Cette longue narration a pour pivot l’institution royale, dont la portée est ainsi rappelée à la mémoire des vassaux au moment où le souverain se prépare à partir pour la croisade, terrible pèlerinage qui nécessitait une rude préparation. Il ne fait aucun doute que l’élaboration de ce programme méticuleux, où le combat contre l’hérésie est si souvent évoqué à travers les scènes d’idolâtrie, a fait partie des préparatifs de Louis IX.

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