Des grands travaux d’embellissement réalisés au début du XIVe siècle dans le palais de la Cité, dont la magnificence rayonna dans toute l’Europe médiévale, seules subsistent deux grandes salles, celle des Gens d’armes et celle des Gardes, ainsi que les tours qui longent le quai de l’Horloge. Leurs fonctions postérieures, militaires et carcérales, les ont réunies sous le nom de Conciergerie, devenu tristement célèbre durant la Révolution. Ces éléments architecturaux sont les précieux témoins d’un palais conçu par Philippe IV le Bel comme un véritable manifeste de la puissance de la dynastie capétienne.
Un faste royal
Le logis royal, représenté vers 1415 sur la miniature illustrant le mois de juin des Très Riches Heures du duc de Berry et qui a subsisté jusqu’au milieu du XIXe siècle, a fait l’objet de travaux d’embellissement au fil du temps. En témoignent des consoles finement sculptées, heureusement épargnées tout comme un ensemble de sculptures de grande taille représentant des personnages assis – conseillers ou légistes – non encore identifiés. Le faste royal, instrument majeur de propagande, s’exprimait partout, depuis la Sainte-Chapelle jusqu’aux parties privatives, mais particulièrement dans la nouvelle Grand’Salle, dont la construction ne commença qu’au début du XIVe siècle, soit à la fin du règne de Philippe le Bel.
La salle des Gens d’armes, témoin du prestige du palais des capétien
Des dimensions démesurées
Après expropriation des maisons établies au débouché du pont au Change, le souverain put développer l’emprise du palais de saint Louis, son grand-père. Le prestige de la Grand’Salle tenait en premier lieu à ses impressionnantes dimensions, sans doute identiques à celles de la salle des Gens d’armes qui en constituait le soubassement. Cette partie basse, structure particulièrement puissante, résista à l’incendie de 1618 qui détruisit la Grand’Salle royale, reconstruite une première fois par Salomon de Brosse, puis une seconde fois après l’incendie de 1871, pour donner naissance à l’actuelle salle des pas perdus du Palais de justice. Sa surface et sa hauteur actuelles sont sensiblement similaires à celles du XIVe siècle.
La salle des Gens d’armes, témoin du prestige du palais des capétien.
Large de 27,6 mètres et longue de près de 67 mètres, la Grand’Salle était sans doute alors la plus grande salle civile de l’Occident médiéval, supplantant notamment celle du palais de Westminster, construite un siècle auparavant. Son architecture s’inspirait de prestigieux modèles, s’inscrivant dans la lignée des grand’salles des palais de Barcelone, Majorque ou Perpignan, mais aussi du palais des Papes d’Avignon et peut-être encore de l’antique triclinium du palais du Latran à Rome (long de 68 mètres).
Pierre-Lucien Faure-Dujarric, Perspective de la Grand’salle, 1868, gravure extraite de l’édition augmentée des Plus excellents bastiments de France par Jacques Androuet du Cerceau
Contrairement à la salle des Gens d’armes, couverte de puissantes voûtes en pierre, les deux grands vaisseaux supérieurs furent coiffés de longues carènes charpentées en bois « d’Irlande » (provenant en fait de Livonie). Outre des peintures murales, des tentures et sans doute de riches vitraux, la salle était ornée d’un ensemble de grandes statues polychromes représentant les rois de France, prédécesseurs de Philippe le Bel, auxquels furent ensuite ajoutés ses successeurs jusqu’à Henri Ill, ce qui porta leur nombre à cinquante-huit.
Conciergerie, salle des Gens d’armes, ligne de démarcation de l’inondation de 1910
Les effigies du roi, de son fils (le futur Louis X le Hutin) et de son ministre Enguerrand de Marigny ornaient aussi le portail dit des Grands Degrés, dominant l’escalier d’honneur du palais. Détruit après l’incendie de 1776, il est représenté sur le retable du Parlement de Paris, peint vers 1450. Au sommet d’un second escalier monumental, un portail permettait d’accéder directement, au sud-est, à la Grand’Salle. Surmonté d’un tympan trilobé, il était, d’après des dessins de 1776, encadré par deux statues coiffées de dais ; il reste celle d’un personnage laïc privé de sa tête, probablement un membre important de l’entourage royal, peut-être Enguerrand de Marigny lui-même, qui faisait pendant à une statue de Vierge à l’Enfant.
Conciergerie, salle des Gens d’armes, escalier dit escalier des cuisines
Un modèle d’architecture médiévale
La Grand’Salle était un lieu où, en plus des réunions d’apparat et de travail présidées par le roi, se déroulaient de fastueuses réceptions et des banquets pouvant réunir près d’un millier de personnes. Le bâtiment des cuisines, contigu à la salle des Gens d’armes, est daté du règne de Jean le Bon mais remonte peut-être à Philippe le Bel. Réservé à la préparation des repas des gens du commun, il offre un aperçu, par la taille de ses quatre grandes cheminées, de l’intense activité qui existait à l’étage inférieur – le seul conservé – qui servait notamment de réfectoire au personnel du palais (près de 2000 personnes).
Sébastien-Charles Giraud, La Grand’Salle du palais de la cité au Moyen Age, 1878, huile sur toile, Paris, Palais de justice.
Encavés lors du rehaussement du quai de l’Horloge au début du XVIIe siècle et aujourd’hui semi-enterrés, les quatre vaisseaux de la salle des Gens d’armes, subdivisés en neuf travées, constituent l’un des exemples majeurs de l’architecture civile parisienne du XIVe siècle. La voûte d’ogives, portée par une série de puissants piliers médians et, sur les côtés, par deux rangées de colonnes, n’atteint que 8,55 mètres de hauteur car cette puissante structure, renforcée par d’impressionnants contreforts extérieurs (partiellement conservés sur la façade ouest), servait de soubassement et d’assiette à la Grand’Salle, extraordinairement élancée. Le niveau du sol étant plus bas de près de 3,5 mètres au Moyen Âge, cette salle aujourd’hui sombre était autrefois éclairée, en tout cas au sud, par des baies géminées ouvrant sur la grande cour. Des chapiteaux à feuillages et les quatre grandes cheminées sont les rares éléments qui animent cet espace entièrement minéral, marqué par sa fonction structurelle qui suscite une admiration méritée. Inscrite dans la même logique, la salle des Gardes voisine est l’ancien rez-de-chaussée de la Grand’Chambre où le roi tenait son lit de justice et où siégèrent ensuite le Parlement puis le Tribunal révolutionnaire.
La Salle des Gardes, ancien rez-de-chaussée de la Grand’Chambre
Le palais devient prison
Une partie du palais ayant été convertie en prison dès 1370, dont les étages inférieurs de la Grosse Tour (le donjon) où étaient enfermés les prisonniers de haut rang, la salle des Gardes et ses deux tours furent rapidement dévolues à une fonction carcérale. Auparavant, le Parlement, qui représentait le roi dans ses prérogatives judiciaires sur l’ensemble du territoire français, enfermait ses prisonniers au Grand Châtelet. La prison du palais de la Cité était pour sa part réservée à la juridiction du concierge, qui s’appliquait dans l’enceinte palatiale. Mais le Parlement gagnant en influence, la Conciergerie devint peu à peu une annexe du Châtelet. De 1400 à la fin de l’Ancien Régime, la superficie de la prison – et sans doute aussi son aspect – évolua peu.
Conciergerie, salle des Gardes, escalier menant à l’ancienne cour des Magasins
Après la grande cour (actuelle cour du Mai) se succédaient la galerie des prisonniers, le grand préau (cour intérieure), la « rue de Paris » (travée occidentale de la salle des Gens d’armes), la salle des Gardes et les rez-de-chaussée des tours de César et d’Argent. On peut ainsi parler des prisons de la Conciergerie, dont certaines ont été utilisées jusqu’en 1934. À la fin du XVIIIe siècle, elles occupaient près de 5 000 mètres carrés et comptaient cinq catégories de prisonniers répartis en fonction de leur classe sociale, mais aussi un personnel extrêmement nombreux.
Les cuisines témoignent, par la taille des quatre cheminées, de l’intense activité qui régnait à l’étage
La prison de la Conciergerie fut réorganisée au début du XIXe siècle, comme le montrent les plans de l’architecte Beaumont, et les deux grandes salles médiévales furent enfin « libérées » de leur fonction carcérale. La salle des Gens d’armes, alors remplie de gravats empilés jusqu’à la naissance des voûtes, fut vidée. Les premières campagnes de restauration commencèrent en 1812, après l’effondrement d’une partie d’entre elles. Les bâtiments médiévaux de la Conciergerie ainsi que la Sainte-Chapelle furent finalement classés au titre des Monuments historiques en 1862.
La Sainte-Chapelle à Paris
Les expositions de la Conciergerie
La Conciergerie présente régulièrement des expositions, alternant propositions à tonalité historique et patrimoniale (saint Louis, Marie-Antoinette… ) et art contemporain. Les artistes invités à concevoir des installations en résonance avec ce lieu offrent autant d’occasions de renouveler notre approche de ce patrimoine multiséculaire et toujours bien vivant.
Théo Mercier, exposition « Outremonde, The Sleeping Chapter », 2022
Sous ses magnifiques voûtes gothiques, à travers son immense forêt de piliers qui guident et dynamisent le regard, la salle des Gens d’armes offre un écrin unique et monumental pour réinventer sans cesse de nouvelles formes, dans un dialogue fertile entre passé et présent. À l’instar des fragiles sculptures de sable de Théo Mercier (2022), transformant la Conciergerie en « cathédrale éphémère des sommeils », un paysage minéral et sensible fait de pierre et de sable où le geste de l’artiste et celui de l’architecte semblaient se confondre. L’installation poétique d’El Anatsui (2021), composée de chatoyants drapés métalliques aux nuances infinies et de vidéos projetant la course du soleil sur la Seine, écho à l’île de la Cité, invitait les visiteurs à méditer sur le temps qui passe.
Stéphane Thidet, exposition « Détournement », 2018
Avec « Détournement » (2018), une création spectaculaire, Stéphane Thidet a fait couler l’eau de la Seine entre les piliers de la salle voûtée d’ogives, une idée qui lui est venue d’une ligne tracée sur l’un d’entre eux, indiquant le niveau atteint par le fleuve lors de la crue de 1910. Une communication avec l’extérieur en contraste volontaire avec le passé carcéral des lieux.
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