Exposition Chagall à Paris : une plongée réjouissante dans l’œuvre de l’artiste, la musique pour fil rouge

, Exposition Chagall à Paris : une plongée réjouissante dans l’œuvre de l’artiste, la musique pour fil rouge

Cette donation vient enrichir la collection du Centre Pompidou, l’une des plus importantes de l’œuvre de Marc Chagall (1887-1985) grâce à l’exceptionnelle dation de 1985-1988 qui avait permis l’entrée de 543 peintures, dessins et gouaches. D’autres dons avaient été effectués du vivant de l’artiste, puis post-mortem par ses ayants droit. Les derniers en date provenant des petites-filles de l’artiste, Bella et Meret Meyer, ont été constitués autour de trois thématiques : les dessins préparatoires aux costumes et rideaux de scène du ballet L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky repris par le Ballet Theatre de New York en 1945, les esquisses et maquettes pour la décoration du plafond de l’Opéra commandée à l’artiste en 1962 ainsi que des collages, des céramiques et des sculptures réalisés des années 1950 à l’aube des années 1970. Cet ensemble, en plus de constituer une formidable documentation sur la pensée créative de Marc Chagall, vient combler un manque puisqu’aucune œuvre en volume de Marc Chagall ne figurait jusqu’ici dans la collection du Centre Pompidou.

 

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L’Oiseau de feu, un ballet cathartique

Intimement liée à sa vocation d’artiste, la musique a toujours joué un rôle fondamental pour Marc Chagall au point de contribuer à le tirer, en 1945, de sa dépression. La disparition soudaine de son épouse Bella, foudroyée par une affection virale le 2 septembre 1944, près de 30 ans après leur union, le plonge dans un profond chagrin. Il cesse alors de peindre durant neuf fois pour se consacrer, avec sa fille Ida, au premier volume de Lumières allumées, souvenirs de la défunte dont il réalise les illustrations. Quelques mois plus tard, l’appel de Lucia Chase, directrice de la jeune compagnie de danse américaine Ballet Theatre, lui redonne le goût du travail. À la fin de l’année 1941, elle lui avait déjà commandé, en compagnie de Léonide Massine, le décor et les costumes d’Aleko dont deux masques, l’un de renard, l’autre de coq, sont présentés en préambule de cette exposition. Tiré d’un poème de Pouchkine Les Tziganes, ce ballet autour de l’errance, puis du bannissement d’Aleko, avait trouvé un écho profond en Chagall, lui qui était exilé depuis peu à New York. Trois ans plus tard, un nouveau projet musical vient, comme une catharsis, le tirer de son deuil.

Marc Chagall, L’Oiseau de feu, 1945 © Collection Centre Pompidou © Adagp, Paris

Marc Chagall, L’Oiseau de feu, 1945 © Collection Centre Pompidou © Adagp, Paris 2023

Pour la reprise de L’Oiseau de feu, créé en 1910 par les ballets russes de Diaghilev, Lucia Chase, déçue par les premiers décors commandés à un autre artiste d’origine russe, Nicolai Remisoff, sollicite en catastrophe Chagall. Outre la centaine de costumes et de décors qu’il doit réaliser en un temps record, le défi s’avère d’autant plus grand que Chagall se mesure, 35 ans plus tard, à l’un de ses maîtres Léon Bakst qui avait créé les somptueux et sensuels costumes de ce ballet d’un nouveau genre, sur la musique du jeune et encore inconnu Igor Stravinsky, dans des décors d’Alexandre Golovine.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Un challenge que les cartels de l’exposition ne relèvent étonnamment pas. Ils mettent en revanche en valeur la manière dont Chagall, dès ses premières esquisses, intègre le mouvement même des danseurs, comme dans le Monstre vert à rayures noires semblant s’adonner à une danse serpentine, le Monstre masqué violet au déhanché très expressif, ou Le monstre bleu et jaune, merveille d’arabesques colorées. Chagall puise son inspiration dans le folklore russe, mais aussi dans les poupées kachina des Amérindiens Hopi, ainsi qu’il l’avait fait lorsqu’il travaillait au Mexique sur le ballet Aleko. Au moment des essayages, Chagall veille à ce que les quatre-vingts costumes s’adaptent parfaitement à la morphologie des danseurs ajoutant, jusqu’au dernier moment, des touches de couleurs afin qu’ils s’harmonisent parfaitement aux rideaux de scène.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Le rideau d’ouverture reprend les principaux éléments de l’histoire : la forêt du maléfique magicien Kachtcheï, un monstre de son palais, le jeune prince Ivan avançant vers l’aube et, régnant dans un ciel nocturne, l’oiseau de feu. Hommage à sa défunte bien-aimée, Chagall unit cet oiseau de feu à une femme dont le visage inversé, un motif récurrent dans son œuvre, reprend les traits de Bella. Un bouquet de fleurs à la main, la silhouette virginale surmontée de l’oiseau couronné d’or vole dans un ciel au bleu profond, sublime maquette exposée aux côtés d’une très belle esquisse du rideau de La Forêt enchantée. Le 25 octobre 1945, le New York Herald Tribune voit dans les décors et costumes de Chagall « un cadeau merveilleux » avec ses « scintillements de conte de fées », mais juge « la pauvreté de la chorégraphie [confiée à Adolph Bolm] étonnante ». Le 13 août 1947, dans une lettre à Lucia Chase, Chagall déplore qu’Aleko et L’Oiseau de feu où il a mis « tout [son] cœur et tout [son] amour pour le ballet » ne soient plus interprétés.

Marc Chagall, Autoportrait, 1907 Aquarelle, fusain, encre sur papier 20x 16 cm, Centre Pompidou © Philippe Migeat © ADAGP, Paris, 2023

Marc Chagall, Autoportrait, 1907, aquarelle, fusain, encre sur papier, 20x 16 cm, Centre Pompidou © Philippe Migeat © ADAGP, Paris, 2023

Il lui propose d’intercéder auprès de Balanchine qui montera, bel et bien, une nouvelle chorégraphie de L’Oiseau de feu pour le Ballet Theatre en 1949.

Le plafond de l’Opéra Garnier, un immense bouquet de fleurs

Au centre de l’exposition, dans un espace concentrique à l’image de l’iconique plafond de l’Opéra Garnier, l’aventure de cette création hors norme est retracée. Des coupures de presse, françaises et étrangères, rappellent les polémiques qui font alors rage suite à la proposition faite par André Malraux, ministre des Affaires culturelles en 1962. « Les ânes volants de Chagall chasseront les dieux en sucre d’orge du Second Empire » titre France Soir. Le débat autour de la restitution du plafond initial a d’ailleurs été relancé en avril dernier par les ayants droit du peintre Jules-Eugène Lenepveu – actualité que les cartels de l’exposition auraient pu mentionner. Cette dernière controverse en date prouve que ce plafond, pour lequel l’artiste n’a pas voulu toucher un centime, reste furieusement moderne.

Marc Chagall, Le plafond de l'Opéra Garnier, inauguré en 1964, huile sur toile, 220 m2, Opéra national de Paris, Palais Garnier. © Jean-Pierre Delagarde / Opéra national de Paris / Palais Garnier © Adagp, Paris, 2023

Marc Chagall, Le plafond de l’Opéra Garnier, inauguré en 1964, huile sur toile, 220 m2, Opéra national de Paris, Palais Garnier. © Jean-Pierre Delagarde – Palais Garnier © Adagp, Paris, 2023

Les esquisses de Chagall, ainsi lancé dans un nouveau défi à l’âge de 75 ans, manifestent admirablement son désir de « faire chanter le dessin par la couleur ». Certaines maquettes, colorées de manière abstraite avec des pastels, des feutres et même des bandes de tissus, montre la vivacité des recherches de ce coloriste hors pair qui travaillait en musique, allant jusqu’à déclarer « moi-même, je deviens un son ». D’autres disques de papier, reproduisant la rondeur du plafond, traduisent cette fois le travail sur la forme, figures et monuments étant dessinés à l’encre de chine. Dans d’autres feuilles, se fixe une attention plus particulière sur un Ange rouge, à la double figure d’oiseau, ou un Couple au bouquet, les motifs récurrents étant, chez Chagall, comme des thèmes musicaux traversant son œuvre. Un rapprochement que les commissaires de l’exposition, Anne Montfort-Tanguy et Valérie Loth, auraient pu faire ressortir, tout comme l’éventuelle question de la synesthésie, cette correspondance entre son et couleur.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Grâce à ces études préparatoires préfigurant cette immense célébration de l’art de l’opéra sur 220 m2, le visiteur aura pu ressentir l’incroyable vitalité créatrice de Chagall. À travers ses décors de ballets, son intention était bien de donner la sensation aux spectateurs de plonger dans une peinture. À son arrivée à Paris, la capitale française lui avait d’ailleurs donné cette impression, qu’il raconte : « Chose, nature, gens, éclairés de cette « lumière-liberté » baignaient, aurait-on dit, dans un bain coloré. »

Marc Chagall, Maquette pour le plafond de l’Opéra Garnier, “Le Lac des cygnes”, 1963 © Collection Centre Pompidou © Adagp, Paris

Marc Chagall, Maquette pour le plafond de l’Opéra Garnier, Le Lac des cygnes, 1963 © Collection Centre Pompidou © Adagp, Paris

En 1963, Chagall soumet à Malraux deux maquettes de grand format, exposées également. Inaugurée le 23 septembre 1964, l’œuvre aux aplats de couleurs vives reflète l’idée ayant guidé Chagall : « L’Opéra de Paris est unique parce que les spectateurs de son parterre sont les plus élégants du monde et que les femmes entourées d’hommes en habit, y sont habillées comme des fleurs. Tout le parterre, un soir de première, n’est qu’un gigantesque bouquet de fleurs. Mon plafond doit être son fidèle reflet. »

Marc Chagall, Le Triomphe de la Musique, 1966, maquette définitive pour la peinture murale du Metropolitan Opera, Lincoln Center, New York, tempera, gouache et collage sur papier marouflé sur papier coréen, 109 × 91,5 cm, collection privée, Photo © Archives Marc et Ida Chagall, Paris, © Adagp, Paris 2023

Marc Chagall, Le Triomphe de la Musique, 1966, maquette définitive pour la peinture murale du Metropolitan Opera, Lincoln Center, New York, tempera, gouache et collage sur papier marouflé sur papier coréen, 109 × 91,5 cm, collection privée, Photo © Archives Marc et Ida Chagall, Paris, © Adagp, Paris 2023

Collages, sculptures et céramiques, l’exploration jubilatoire

Améliorant la technique des collages qu’il avait expérimentée dans les années 1910-1920 pour les préparations de décors et de costumes de ballets, Chagall cherche une nouvelle fois à étendre son potentiel créatif. Esquisse pour Arlequin (1968-1971) ou Clown multicolore (vers 1970), avec leurs assemblages de papiers et de tissus aux motifs variés, évoque les cahiers d’inspiration (mood boards) utilisés dans les milieux de la mode et de la décoration. Chagall joue en effet avec les rendus de matière, en collant par exemple de vrais morceaux de voile dans le tendre Mariée à la dentelle (1968).

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Il oppose aussi les matières brillantes à la matité de la gouache, et amorce même une réinvention de son style iconique à travers Esquisse pour Le Cavalier ou Femme aux mains rouges et vertes. Par des empâtements de couleurs sourdes, il construit là une solide dynamique gestuelle confinant à l’expressionnisme. Cette très belle série, réjouissante pour l’œil comme pour l’esprit, voisine les cinq céramiques et sept sculptures données par les sœurs Meyer. L’étonnante capacité de Chagall de se mesurer à ces médiums montre combien les œuvres en volume pouvaient manquer à la collection du Centre Pompidou.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

L’artiste réalise ses premières céramiques à la fin des années 1940 dans les ateliers d’Antibes, de Vence ou de Vallauris, puis peu après, ses premières sculptures. Ses céramiques sont aussi bien des pièces tournées, comme l’étonnant Vase sculpté (1952) dont l’encolure s’évase sur l’un des côtés pour laisser apparaître un visage de femme, que coulées comme Les Amoureux et la Bête (version ocre) de 1957. Cinq ans plus tôt, en 1952, la silhouette d’un couple enlacé figurait sur le flanc d’une Bête fantastique en mouvement sur son socle, une sculpture en plâtre à l’aspect du bois – remarquable et intrigante œuvre ne faisant hélas pas l’objet de plus d’informations.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Il en va de même pour le Visage double profil, peint à même un os posé sur un socle de bois ou pour les deux maquettes aux galets peints, témoins de l’intérêt de Chagall pour les formes naturelles.

En plus du Vase sculpté et de la Bête fantastique, deux autres sculptures de 1952 démontrent la plasticité créatrice de Chagall. L’une, Paysage et couple à l’oiseau sculptée dans la pierre de Rognes à l’aspect brut, ne manque pas d’évoquer les chapiteaux romans de Vézelay où Chagall s’est rendu pour étudier les vitraux. L’autre, Autoportrait en profil fait en marbre blanc de Carrare, rappelle à la fois les médailles romaines et les bas-reliefs Art déco.

Vue de l'exposition « Chagall à l’oeuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 - 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Vue de l’exposition « Chagall à l’œuvre. Dessins, céramiques et sculptures 1945 – 1970 » au Centre Pompidou © Audrey Laurans

Tout au long de sa vie, Chagall, qui s’est éteint à l’âge de 97 ans, a été mu par une intarissable soif de créer, exercée aussi dans les domaines de la gravure, de la peinture sur vitrail, sur émail,… Cette exposition, qu’on aurait aimée plus documentée, en fait une nouvelle démonstration.


« Chagall à l’œuvre, Dessins, céramiques et sculptures 1945-1970 »
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris

Jusqu’au 26 février 2024


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