De février à avril 2022, le sol de la croisée du transept a été exploré par les équipes de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) en amont du montage de l’échafaudage nécessaire à la reconstruction de la flèche. Diligentée par l’établissement public, maître d’ouvrage du chantier, cette fouille d’archéologie préventive a révélé des vestiges d’un grand intérêt qui viennent éclairer l’histoire de la cathédrale, du Moyen Âge au XIXe siècle, de ses rituels funéraires à ses décors disparus.
D’exceptionnels vestiges médiévaux
Sous le dallage endommagé par l’incendie et l’effondrement de la flèche, les archéologues ont découvert des vestiges archéologiques d’un grand intérêt historique et artistique. Entre les carnaux, les conduites de chauffage en brique installées au XIXe siècle par Viollet-le-Duc, le sol a heureusement conservé toute sa stratigraphie médiévale. La prescription prévoyait initialement des investigations sur une profondeur de 35 centimètres. Mais dès ce niveau de décapage est apparu un radier (plateforme stable sur laquelle on assoit d’autres éléments) daté entre le XIVe et le XVIIe siècle, reposant sur une stratigraphie constituée de plusieurs niveaux de sol construits en un mortier de sable et de chaux.
Vue d’ensemble des fouilles de la croisée du transept © Alexis Komenda/C2RMF
Puis plusieurs sépultures ont été mises au jour, dont deux sarcophages anthropomorphes en plomb. « Ils présentent quelques différences notables sur la composition du plomb et sur la forme, observait en 2022 Christophe Besnier, l’archéologue responsable de la fouille pour l’Inrap. Surtout, une petite plaque en bronze placée sur le deuxième que nous avons dégagé, nous indique l’identité du défunt : il s’agit du chanoine Antoine de la Porte, mort le 24 décembre 1710. Il a été chanoine pendant plus de cinquante ans, ce qui lui avait valu le surnom de “chanoine jubilé”. C’était un personnage de premier ordre dans la vie ecclésiastique parisienne. Et, à la fin de sa vie, il a fait un don de 10 000 livres pour refaire une partie de la clôture du chœur. C’est pourquoi il a été inhumé tout près de celui-ci dans l’axe principal, un emplacement vraiment privilégié. »
Vue du sarcophage en plomb du chanoine Antoine de La Porte découvert sur le chantier de fouilles préventives menées à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris à l’hiver 2022 © Denis Gliksman, Inrap
Des fouilles au laboratoire
L’autre cercueil, qui abritait la dépouille d’un homme décédé vers l’âge de 30 ans surnommé depuis « le mystérieux cavalier », n’a pas été retrouvé dans sa position initiale et a probablement été déplacé à une période qui reste à déterminer. «On le sait parce qu’il a été posé dans un caveau funéraire trop petit pour lui, explique Christophe Besnier, et ses pieds reposent sur une partie détruite de ce caveau. » Une exploration préliminaire par caméra endoscopique avait alors montré la présence sous la tête d’un coussin funéraire végétal, un rituel connu mais dont on a rarement retrouvé la trace. Les deux sarcophages ont ensuite transférés à l’institut médico-légal du CHU de Toulouse afin d’y être ouverts et de faire l’objet d’une série de prélèvements et d’analyses. Leur fouille, qui a mobilisé de nombreux spécialistes, s’est déroulée sur une période très resserrée, du 21 au 26 novembre 2022, afin de limiter le temps de manipulation des vestiges. Comme l’expliquait alors Camille Colonna, anthropologue à l’Inrap, les cuves ont été découpées à la cisaille électrique, pour ce qui concerne le cercueil du chanoine de La Porte, et à la disqueuse pour le sarcophage anonyme, aux parois beaucoup plus épaisses.
Le squelette anonyme découvert dans un sarcophage en plomb à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris pourrait être celui du célèbre poète Joachim du Bellay. Ici à l’étude à l’institut médico-légal du CHU de Toulouse. © Inrap / Denis Gliksman
Si l’identification du chanoine Antoine de La Porte avait été facilitée par l’épitaphe figurant sur son cercueil, l’autre défunt restait anonyme. Le 17 septembre 2024, lors d’une conférence de presse de l’Inrap, Eric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’Université Toulouse III, a présenté les premiers résultats des recherches et révélé une première hypothèse d’identification. On apprenait alors que l’individu, âgé d’une trentaine d’années au moment de sa mort, était décédé d’une méningite chronique tuberculeuse au XVIe siècle. Ces éléments autorisent de nombreux rapprochements avec le profil du poète Joachim du Bellay, cavalier chevronné, tuberculeux, mort à l’âge de 35 ans en 1560 et inhumé à Notre-Dame de Paris. Si enthousiasmante que puisse être cette hypothèse elle doit encore être corroborée par l’analyse de nombreuses données archéologiques, anthropologiques et historiques.
Soumis aux effets destructeurs de l’oxygène, le sarcophage du cavalier anonyme n’abritait plus aucun résidus de tissus organiques. © Denis Gliksman, Inrap
Retrouver le jubé disparu
À côté des sépultures, les fouilles ont surtout permis la mise au jour des vestiges du jubé détruit. Quelque 1 030 fragments, pesant de quelques centaines de grammes à 400 kilos, ont été collectés, pour un total de neuf tonnes. Plus de 700 d’entre eux présentent leur polychromie d’origine avec des rajouts, des réparations, l’application de feuilles d’or… « Cette découverte permet de renouveler complètement la connaissance du jubé, considère Christophe Besnier. Ce jubé a été détruit, mais c’est comme s’il avait été réinhumé in situ, parce que les blocs sont assez soigneusement posés, ils sont liés par une sorte de mortier. Les maçons ont presque refait une construction avec les éléments du jubé, mais enfouie… Dans le caveau du chanoine, en pierre et en plâtre, ont aussi été trouvés des éléments sculptés et peints en remploi. Il y a sans doute un aspect pratique dans cette réinhumation, pour ne pas transporter au loin les pierres, mais ces éléments représentant la Passion du Christ revêtaient sans doute un caractère sacré. Cela ouvre des horizons sur la perception du sacré aux époques médiévale et moderne. »
Redécouverte d’un fragment du jubé de Notre-Dame de Paris : une tête issue d’un décor consacré à la Passion du Christ lors des fouilles préventives de la croisée du transept © Denis Gliksman/Inrap
Grâce au volume de fragments, il sera possible de préciser l’iconographie du jubé et de proposer une restitution même partielle. Et d’estimer ce qui pourrait être encore enfoui. « Au-delà, c’est évidemment la présence d’une polychromie qui est exceptionnelle, poursuit Christophe Besnier. Aujourd’hui, des techniques modernes permettent de stabiliser ces peintures. Cela est d’autant plus intéressant qu’il n’y a plus de peinture médiévale à l’intérieur de Notre-Dame. On pourra ainsi avoir une idée plus précise du décor peint au XIIIe siècle. »
Torse d’une statue en cours de dégagement provenant de l’ancien jubé médiéval de la cathédrale Notre-Dame de Paris © Denis Gliksman, Inrap
La préservation des éléments du jubé constituait l’urgence première puisque, dès la fouille, la peinture n’adhérait plus à la pierre. Leur suivi sanitaire organisé avec la collaboration de la DRAC, du LRMH et du C2RMF a confirmé l’extrême fragilité des décors peints. L’opération d’urgence de fixation de la polychromie et de nettoyage des blocs démarrée en 2024, s’achèvera au printemps 2025. Les analyses, qui commencent au fur et à mesure de la stabilisation des pièces, ont pour objectifs « d’étudier le jubé sous tous ses aspects, de proposer un remontage numérique et évaluer la part du jubé encore enfoui ». Une mise en lumière de cette mission exceptionnelle a lieu 2024 via la présentation d’une trentaine d’éléments sculptés du jubé dans l’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame» au musée de Cluny – musée du Moyen Âge.
Opération d’évacuation des déblais de la fouille de la croisée du transept de Notre-Dame de Paris par grutage © Denis Gliksman, Inrap
Des débris transformés en vestiges
Outre l’exploration, très médiatique, de la croisée du transept, de nombreuses opérations ont été menées par les archéologues et les chercheurs à l’intérieur comme à l’extérieur de la cathédrale. Dès le lendemain de l’incendie, un protocole inédit était mis en place pour encadrer le tri des gravats et les transformer en vestiges archéologiques. Cette opération a associé le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), le Service régional d’archéologie (SRA), l’Institut de recherches archéologiques préventives (Inrap) puis le CNRS et les universités, avec, pour chacun, des spécialistes matériaux venus apporter leur expertise.
Les bois calcinés de la charpente de Notre-Dame de Paris ont été triés et répertoriés pour être analysés. © Patrick Zachmann/Magnum Photos
Les équipes se sont relayées tous les jours pour récupérer, trier et inventorier, en premier lieu ce qui était tombé au sol à la croisée du transept, dans le transept et dans la nef, puis ce qui était resté sur l’extrados des voûtes. « Ce sont des vestiges patrimoniaux à considérer comme tels, y compris le bois brûlé, cela peut donner beaucoup d’informations et être utile pour différents types de datation », complète Catherine Lavier, dendrochronologue au C2RMF. Une fois ce premier tri réalisé, un second inventaire a été fait sous les barnums installés sur le parvis, puis l’ensemble, à l’exception de ce qui pouvait être utile aux architectes des monuments historiques, a été envoyé dans un centre de stockage en région parisienne qui servira aussi de laboratoire de recherche pour les années à venir.
Un vaste bâtiment carolingien mis au jour
Des fouilles réalisées aux abords de la cathédrales ont également donné lieu à des découvertes qui renouvellent considérablement les connaissances sur Notre-Dame et sur l’histoire de l’île de la Cité, documentant de manière ininterrompue 2000 ans d’histoire. Les niveaux les plus anciens remontent au commencement de l’Antiquité, comme l’atteste la mise au jour de sols d’une demeure du tout début du Ier siècle, dans la cave Soufflot au cœur de la cathédrale. Des vestiges du Bas Empire (sols et bois incendiés) ont été découverts sous le parvis, et d’autres, tandis qu’un vaste bâtiment carolingien et un ou plusieurs édifices monumentaux médiévaux, antérieurs à la construction de la cathédrale ont également pu être identifiés. Enfin, les fondations du sanctuaire (le monumental massif de fondation qui supporte les tours ainsi que les fondations des piliers) ont pu être observées pour la première fois.
Une équipe de fouilles des archéologues de l’Inrap dans Notre-Dame de Paris © Inrap / Emmanuelle Collado
Un programme décisif pour l’étude archéologique des cathédrales
Le programme de diagnostics et de fouilles archéologiques, menées à l’extérieur et l’intérieur de la cathédrale par les équipes de l’Inrap depuis cinq ans, offre un intérêt bien supérieur à la simple connaissance de la cathédrale parisienne. « La fouille archéologique a permis de mettre un coup de projecteur sur l’histoire de ce monument, considère Dominique Garcia, le président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Les cathédrales étant des lieux de culte toujours en activité, elles font rarement l’objet d’études archéologiques précises. En soi, le travail fait à Notre-Dame est très intéressant, mais, aussi, il nourrit une réflexion sur l’archéologie dans ce type d’édifice. Les outils et les analyses menées par l’Inrap permettront à la fin d’avoir un dossier solide sur l’histoire du bâtiment, mais aussi d’aider la maîtrise d’œuvre s’agissant des techniques de reconstruction et, peut-être, de poser les bases d’un cahier des charges pour l’étude de ces bâtiments partout en Europe. »
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