Le 15 avril 2019 est gravé dans toutes les mémoires. Il faudra 15 heures aux 600 pompiers mobilisés pour maîtriser les flammes qui dévorent la charpente médiévale, les toitures de la nef et du transept, et anéantissent la flèche de Notre-Dame. En s’écroulant, celle-ci provoque l’effondrement de la voûte de la croisée du transept, d’une partie de celles du bras nord et d’une travée de la nef. Une double course contre la montre est engagée : éteindre le feu et évacuer ce qui peut l’être : les reliques (Sainte Couronne, fragments de la Vraie Croix), le Trésor…
Le plan d’action
Si l’heure est à la désolation, la structure globale de l’édifice a résisté et l’essentiel de ses chefs-d’œuvre est sauvé. « Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore, et je veux que cela soit achevé d’ici cinq années » : lorsque le président Emmanuel Macron prononce ces mots le lendemain du drame, nul ne sait encore si un tel défi peut être relevé.
La promesse a été tenue, grâce à la générosité de 340 000 donateurs du monde entier (846 M€ récoltés par la souscription nationale) et aux compétences conjuguées de tous les acteurs d’un chantier hors normes, orchestré par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame, chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale. Créé en décembre 2019 et présidé par le général Jean-Louis Georgelin (jusqu’à son décès en 2023) puis par Philippe Jost, celui-ci a pour missions d’assurer la maîtrise d’ouvrage, de témoigner de l’avancement du chantier et de valoriser les métiers du patrimoine.
Les choix de la reconstruction
Pendant cinq ans, architectes, archéologues, historiens, anthropologues, chimistes, ingénieurs, échafaudeurs, cordistes, grutiers, charpentiers, carriers, tailleurs de pierre, campanistes, peintres, sculpteurs, maîtres-verriers, ferronniers d’art, facteurs d’orgue… ont œuvré à la renaissance de Notre-Dame. Le chantier, qui a fédéré plus de 250 entreprises, s’est déroulé en deux phases. La première, consacrée à la sécurisation et à la consolidation du monument, a débuté juste après l’incendie, à partir d’un diagnostic de l’état structurel et d’un programme de sauvegarde établis par l’architecte en chef des Monuments historiques Philippe Villeneuve (chargé de la maîtrise d’œuvre aux côtés de Rémi Fromont et Pascal Prunet), en concertation avec la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Île-de-France. Les interventions d’urgence se déroulent dans un décor apocalyptique. Il s’agit d’assainir le site, de déblayer, de trier, d’inventorier les vestiges. Vingt-huit cintres sont installés pour soutenir les arcs-boutants fragilisés. Mais cette première phase est surtout marquée par une opération périlleuse : la dépose de l’échafaudage qui était en cours d’installation au moment du drame, pour restaurer la flèche. En partie fondue, la structure risquait de s’effondrer et d’emporter avec elle la cathédrale.
La phase de sécurisation s’achève en septembre 2021. Entre-temps, Philippe Villeneuve a dressé un bilan sanitaire de l’édifice et défini les principes d’une restauration à l’identique. Validé en juillet 2020 par la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, le projet privilégie « la fidélité à la forme du monument et une restauration de la cathédrale dans son dernier état “complet, cohérent et connu”, comme le préconise la Charte de Venise ». Sujette à des débats houleux, l’éventualité d’un « geste architectural » contemporain pour remplacer la flèche imaginée par Viollet-le-Duc en 1857 est oubliée. La même commission actera la restitution à l’identique des charpentes dans leur état du XIXe siècle pour le transept et la flèche, et dans leur état médiéval pour la nef et le chœur.
Un vaste chantier des collections
Après un nettoyage complet et la pose des échafaudages, les travaux sur le bâti débutent à l’intérieur de l’édifice pendant l’été 2022 (consolidation des maçonneries fragilisées, reconstruction des voûtes effondrées…). L’année suivante concerne l’élément le plus symbolique : la charpente des XIIe-XIIIe siècles. Surnommée « la forêt », elle est refaite à l’identique, en chêne, par les charpentiers. En décembre 2023, la flèche se dresse de nouveau à 96 m de hauteur. Au printemps, la croix du chevet est reposée au sommet de l’abside de la charpente du chœur, et la voûte de la croisée du transept est achevée. En novembre 2024, les 8 cloches du beffroi nord sont réinstallées après avoir été nettoyées et, pour deux d’entre elles, restaurées.
Pendant ces cinq ans de travaux, un autre chantier est mené, celui des collections. Plus de 2000 statues et décors sculptés (les bas-reliefs de la clôture de chœur) sont dépoussiérés, réparés, parfois restaurés. Évacuée quelques jours après le drame, la Vierge du pilier (XIVe siècle), symbole de Notre-Dame, était couverte de particules de plomb.
Dans une halle spécialement aménagée sur le parvis, plusieurs gargouilles et 5 chimères de la tour sud, particulièrement exposée aux flammes, sont resculptées par les tailleurs de pierre. Quant aux 16 figures en cuivre des apôtres et des évangélistes qui ornaient le pied de la flèche, elles avaient, par miracle, été déposées juste avant l’incendie pour être restaurées.
En ce qui concerne les vitraux, aucun dégât n’est à déplorer. Les trente-neuf baies hautes de la nef et du chœur ont été démontées par sécurité, puis nettoyées par les maîtres-verriers de neuf ateliers. Côté peintures, les Mays – tableaux monumentaux offerts aux XVIIe et XVIIIe siècles par la corporation des orfèvres – ont retrouvé l’éclat de leurs couleurs grâce au chantier de restauration mené par la Drac Île-de-France. Pour les décors muraux, deux chapelles ont fait l’objet de chantiers-tests entre l’automne 2020 et le printemps 2021 : Saint-Ferdinand, décorée par Viollet-le-Duc, et Notre-Dame de Guadalupe, où l’on a retrouvé des motifs de fleurs de lys dorés datant du Moyen Âge, inconnus jusque-là. Convaincants, les résultats de ces interventions ont permis de définir un protocole qui a ensuite été appliqué aux 22 autres chapelles ainsi qu’à la sacristie.
Les vitraux de la discorde
Sous l’impulsion de l’archevêque de Paris Mgr Ulrich, le ministère de la Culture a lancé en mars dernier une commande de vitraux contemporains pour six chapelles du bas-côté sud de la nef, en remplacement de fenêtres XIXe. Malgré la levée de boucliers de certains historiens de l’art et l’avis défavorable de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, le projet reste d’actualité. À l’issue de la première phase de consultation, sous l’œil d’un comité présidé par Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne, huit candidatures en binômes (un plasticien, un atelier de vitrail) ont été retenues. Des projets proposés par Jean-Michel Alberola, Daniel Buren, Philippe Parreno, Yan Pei-Ming, Christine Safa, Claire Tabouret, Gérard Traquandi et Flavie Vincent-Petit, en collaboration avec les ateliers Duchemin, l’atelier Simon-Marq ou la manufacture Vincent-Petit.
Le design au service de la liturgie
Couvert de suie et de poussière de plomb mais intact, le grand orgue de Cavaillé-Coll a été démonté pièce par pièce (8000 tuyaux) pour être nettoyé en atelier. L’autel moderne, qui avait été commandé en 1989 par le cardinal Lustiger à Jean Touret, a quant à lui été détruit par les chutes de pierre et de poutres brûlées provenant de la flèche. Dans le cadre d’un projet de réaménagement intérieur souhaité par le diocèse de Paris, affectataire cultuel du monument, un mobilier liturgique contemporain et de nouvelles assises ont été commandés à des designers.
Deux concours ont été lancés, et les lauréats ont été choisis en juin 2023 par Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, sur les conseils d’un comité artistique (représentants de l’établissement public, du diocèse, du ministère de la Culture…). Guillaume Bardet a conçu 5 éléments en bronze d’une élégante sobriété : l’autel, l’ambon (pupitre), la cathèdre, le tabernacle et le baptistère. De son côté, Ionna Vautrin a dessiné le modèle des 1500 chaises en bois de la nef.
Durant toute sa durée, le chantier a réservé des surprises. Parmi celles-ci, des fouilles menées en 2022 par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) à la croisée du transept ont mis au jour des sarcophages et des fragments polychromes du jubé disparu. Ces derniers sont actuellement présentés au public au musée de Cluny, dans une exposition sur la statuaire médiévale de Notre-Dame.
Rouverte au culte et à la visite le 8 décembre, la cathédrale a retrouvé la blondeur oubliée de sa pierre. Elle s’offre au regard comme on ne l’a jamais vue : plus claire, plus lumineuse. Tout n’est pas fini pour autant. Reste à restaurer des parties extérieures du monument, dont les arcs-boutants et la sacristie néogothique de Viollet-le-Duc , où le Trésor est présenté dans une nouvelle scénographie, et à terminer la couverture en plomb de la flèche. Quant aux abords de la cathédrale, ils feront l’objet d’un réaménagement, confié au paysagiste Bas Smets. Entrepris par la Ville de Paris, ces ultimes travaux sont prévus jusqu’en 2027.
La cathédrale Notre-Dame de Paris
6, parvis Notre-Dame, place Jean-Paul II, 75004 Paris
à partir du 8 décembre
« Faire parler les pierres. Les sculptures de Notre-Dame »
(du 19 novembre au 16 juin)
et « Feuilleter Notre-Dame. Chefs-d’œuvre de la bibliothèque médiévale »
(du 19 novembre au 16 mars)
Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge, 28, rue Du Sommerard, 75005 Paris
Le hors-série de « Connaissance des Arts »
consacré à Notre-Dame de Paris
(n°1001, 68 pp., 12,90 €)
La Fabrique de Notre-Dame, le journal de la restauration, n°1 à 7
coédité par « Connaissance des Arts » et l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris
(116 pp., 12 € le numéro)
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